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Fiona McGown : "L'idée est de construire la singularité de son propre parcours."

A elles de s'exprimer ! Nous invitons une femme du milieu de la musique classique, une personnalité qui nous a touchés, captivés, surpris, et qui nous parle de son parcours ou de l'actualité musicale. 

Chez ComposHer, la voix de Fiona McGown nous avait charmées dans Chamber Music, le premier disque de la compositrice Camille Pépin. Un timbre souple et chaud, un enthousiasme communicatif : elle nous raconte son parcours, de l'opéra à la maîtrise, jusqu'à ses aventures dans l'univers du récital, qu'elle affectionne particulièrement aujourd'hui.

Commençons par votre formation : vous avez débuté au sein du chœur d’enfants de l’Opéra de Paris.

J’avais 12 ans, j’étais sur la scène de l’Opéra Bastille coiffée, maquillée, costumée et je chantais La Bohème de Puccini, Le Chevalier à la rose de Strauss, Casse-Noisette de Tchaïkovski… C’était une expérience extraordinaire, très loin de mon environnement familial. Aucune personne de ma famille ne faisait de la musique mais moi, contre toute attente, j’aimais chanter par-dessus tout. J’ai aimé immédiatement la puissance du groupe, l’euphorie du plateau, les retours en bus très tard le soir. C’était en l’an 2000 et j’ai la sensation que ma vie a commencé à ce moment-là. 

À cette époque, j’ai été choisie parmi les quelques rares jeunes filles qui ont participé à la création mondiale de l’opéra contemporain K… de Philippe Manoury. Là, sur l’immense plateau de la Bastille, j’ai découvert un monde sonore auquel je n’avais jamais été confrontée, je voyais les solistes de très près suer à grosses gouttes et sortir de leurs corps des voix délirantes, le tout en allemand, cette langue que je ne connaissais pas ! Ce sont des souvenirs indélébiles. Je retiens encore de cette période l’odeur si spécifique des couloirs de l’Opéra. 

Puis, j’ai voulu continuer plus assidûment, et je suis rentrée à la Maîtrise de Radio France.

 

On imagine que la Maîtrise de Radio France et le chœur d’enfants de l’Opéra devaient être deux univers très différents...

Oui, ce ne sont pas les mêmes projets pédagogiques. L’un est associé à une scène, l’autre à une radio. Et pas n’importe quelle scène et pas n’importe quelle radio ! 

A Radio France, je me suis retrouvée à l’école de l’exigence et de l’humilité et c’est ce que je voulais. J’y ai appris les bases du métier que je fais aujourd’hui. Nous faisions régulièrement des créations, je me souviens adorer celles de Magnus Lindberg, Thierry Pécou, Alexandros Markeas… Nous chantions aussi la musique de compositrices telles que Edith Canat de Chizy, Graciane Finzi ou Isabelle Aboulker. Toutes ces personnes étaient présentes lors de nos répétitions et j’adorais l’idée qu’elles interviennent en chair et en os dans le processus de travail. C’est un plaisir que j’ai toujours aujourd’hui quand je travaille de nouvelles créations. D’ailleurs, de ma génération de maîtrisienne sont nées plusieurs vocations de compositrice. Je vous conseille par exemple de suivre de très près la musique de jeunes compositrices telles que Joséphine Stephenson, Héloïse Werner ou Lise Borel. Si en tant qu’interprète, il m’est donné l’occasion de chanter leur musique, je le ferai avec joie.

 

Que pensez-vous de ces programmes où des artistes sont rassemblées en fonction de leur genre ?

C’est à saluer évidemment. Je pense que c’est le grand sujet du moment. Les programmateurs se réveillent et se jettent sur l’opportunité. C’est une très bonne et une « mauvaise » nouvelle ! Très bonne car nous redécouvrons de merveilleuses compositrices du passé dont personne ne nous a jamais parlé en 15 ans d’études, je pense par exemple à Marguerite Canal, mon grand coup de cœur. Pour tout vous dire, j’ai découvert en l’espace d’un an la musique de Mel Bonis, Marie Jaëll, Marcelle de Manziarly sans même avoir eu besoin de fouiller dans des archives poussiéreuses : cela veut bien dire que les choses bougent énormément. C’est d’ailleurs en partie de notre responsabilité à nous, interprètes, de faire vivre cette musique pour qu’elle soit entendue, connue, reconnue. Je remercie une personne comme Aliette de Laleu, chroniqueuse sur France Musique, de faire un immense travail de réhabilitation auprès du grand public de toutes ces créatrices oubliées.

Mauvaise nouvelle car, bien que nécessaire, je me méfie de l’effet de mode, de l’aspect « politiquement correct » et momentané de telles programmations. J’attends de voir la pérennité de tout ça dans le temps. Pour cela, j’aimerais saluer le travail de Claire Bodin, directrice du Festival Présences Féminines à Toulon, qui fait un travail merveilleux et fouillé depuis maintenant plus de dix ans et qui m’a ouvert les yeux sur ce sujet lorsqu’elle m’a invitée à créer Chamber Music de Camille Pépin en 2017. Claire Bodin met un point d’honneur à passer commande tous les ans à des compositrices : rien de tel pour enrichir et rendre vivant ce répertoire trop souvent silencieux et invisible dans le passé.

Mais finalement, quand j’y pense sérieusement, je rêve simplement d’une mixité qui ne soit plus un sujet pour personne. 


 

Vous chantez beaucoup avec piano, et vous aimez particulièrement la mélodie et le Lied : pourquoi ces genres vous attirent-ils particulièrement ?

Je dévore des livres depuis toute petite, j’ai fait 4 ans d’études de Lettres avant de rentrer au CNSM de Paris. J’ai même hésité entre les deux carrières : les mots ou la musique ?  Finalement, chanter résout l’équation et le répertoire de la mélodie et du lied encore plus ! C’est mon premier plaisir quand je travaille une nouvelle partition, m’intéresser au texte, me plonger dans sa singularité et sa beauté. Il n’y a rien de plus frustrant pour moi quand je trouve le texte un peu faiblard ! C’est autre chose quand soudainement, je chante Debussy et Verlaine, Poulenc et Eluard, Pépin et Joyce …  Je viens par exemple de vivre au Théâtre de l’Athénée une aventure littéraire et musicale extrêmement excitante car je participais à la création de trois nouvelles œuvres de compositeurs contemporains - Fabien Touchard, Jules Matton et Fabien Cali - sur des poèmes d’un de mes auteurs de prédilection Mathias Enard (Prix Goncourt 2015). En tant qu’interprète, j’espère être régulièrement créatrice de telles œuvres et même être à l’origine de telles rencontres. J’aime le patrimoine splendide de la musique classique mais chanter ce qui s’écrit aujourd’hui, c’est une façon pour moi de trouver du sens à mon métier, en 2020.

Vous êtes bilingue français - anglais : qu’est-ce que cette dualité vous apporte ?

Oui, mon père est écossais. Connaître intimement une autre culture, c’est une richesse qui n’a pas de mots pour la décrire. Chanter en anglais, c’est toujours pour moi un rendez-vous avec l’intime. Comme retourner à la maison avec le feu qui brûle dans la cheminée. Çà brûle et ça réchauffe en même temps…

 

Vous formez un duo avec Célia Oneto Bensaid. Vous vous connaissez depuis longtemps ? Comment vous êtes-vous rencontrées ?

 

J’ai rencontré Célia au CNSM de Paris dans la merveilleuse classe de mélodie et Lied d’Anne Le Bozec. 

La rencontrer, c’est comme rencontrer une sœur musicale. Je n’ai pas de sœur dans la vie mais j’imagine que ça peut-être tout à la fois joyeux, drôle, fusionnel, complémentaire… comme la sensation de se sentir au même moment différentes et semblables. Notre duo avec Célia, c’est tout ça ! Je souhaite à tout musicien de rencontrer de tels partenaires dans leur parcours car ce type de partenariat est extrêmement stimulant et il est difficile d’en voir la fin. Vous pourrez d’ailleurs nous entendre en récital à Paris en mars prochain à l’occasion de la Journée Internationale des droits des Femmes.

 

Vous avez toutes les deux participé au premier disque de la compositrice Camille Pépin, Chamber Music. Quand l'avez-vous rencontrée ?

 

J’ai rencontré Camille Pépin lors d’un concert au Conservatoire. Elle est venue vers moi et m’a proposé de chanter sa musique à l’occasion du Festival Présences Féminines. C’était il y a maintenant 3 ans et je chante toujours régulièrement sa musique. Camille est une compositrice qui a en tête un univers sonore à partir de timbres spécifiques. Je sais qu’elle a composé Chamber Music puis Dancing Poems avec mon timbre en tête. C’est incroyable pour moi d’enfiler un vêtement musical fait sur mesure, on est dans le monde du luxe et de la haute-couture quand ces choses-là arrivent !

 

Où réside la difficulté dans son oeuvre ?

 

L’endurance. Interpréter cette musique et l’écouter sont deux expériences très différentes. Chanter la musique de Camille, cela demande une concentration très particulière proche de celle que demandent les musiques minimalistes américaines. On entre dans des strates sonores répétitives jamais tout à fait identiques. Les différents timbres en présence se déploient et se transforment comme quand on regarde dans un kaléidoscope. On a vite fait de rentrer dans une certaine transe car c’est une musique très rythmique mais une fraction de seconde d’inattention et ça y est, on a perdu le fil.

 

Chanter Chamber Music, était-ce votre première expérience de la musique contemporaine en solo ?

 

Non, j’ai aussi rencontré d’autres compositeurs au Conservatoire tels que Fabien Touchard et Othman Louati, deux jeunes compositeurs dont l’univers sensible me touche particulièrement.

Je vous invite par exemple à découvrir Pierres d’Othman Louati sur des poèmes de l’immense Yves Bonnefoy ou Le silence tombe en moi comme un fruit de Fabien Touchard que nous avons enregistré pour son premier disque.

 

Vous avez également abordé l’opéra …

Oui ! C’est là où se rejouent mes premières amours d’enfance comme vous l’aurez compris ! Je viens par exemple d’interpréter le rôle d’Orphée dans Orphée et Eurydice de Gluck que j’ai donné dans le cadre de la saison de l’Opéra de Rouen en ce début d’année et que nous reprendrons en mai au Théâtre Impérial de Compiègne avec le passionnant collectif Miroirs Étendus. J’ai adoré chanter ce rôle, ce personnage est bouleversant de solitude et de détermination. Je me surprenais à pleurer en chantant lors des premiers filages tant le chemin émotionnel d’Orphée est celui de la rupture et du deuil. 

Sinon, il y a encore quelques semaines, je remplaçais au pied levé une collègue malade sur la magnifique production de Coronis du Poème Harmonique. Cela fait partie des aléas et des défis du métier ! L’an passé, j’ai pris part à deux magnifiques productions baroques La Finta Pazza et Erismena dirigées par Leonardo Garcia Alarcon, productions que nous reprendrons à l’Opéra Royal de Versailles et la Fondation Gulbenkian à Lisbonne dans les mois à venir. Et enfin, les saisons à venir me parleront - comme par hasard - d’opéra contemporain mais je ne peux pas encore vous en dire plus … !

Et dans l’opéra, il y a des rôles qui vous font rêver ?

Bien sûr ! Comment ne pas rêver des rôles mozartiens tels que Dorabella dans Cosi, Chérubin dans les Noces, Annio dans La Clémence de Titus, Zerline dans Don Giovanni … ? Dans le 19ème français, je m’éclaterais dans des rôles comme Siébel (Gounod) ou Cendrillon (Massenet). J’adorerais aussi chanter les rôles anglais des opéras de Haendel ou de Britten. Sinon, je rêve de Mélisande depuis l’adolescence. Pour une littéraire éprise de poésie comme moi, ça serait une rencontre magnifique.

 

Vous êtes mezzo-soprano. Quelles sont les particularités du répertoire de cette tessiture ?

 

Je dirais que c’est le plaisir constant de n’être jamais tout à fait éloigné de la tessiture de la voix parlée. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que j’aime « chanter » le Pierrot Lunaire de Schoenberg pour son fameux sprechgesang, terrain d’exploration fabuleux de cette frontière parlée-chantée.

La tessiture de mezzo-soprano m’a toujours attirée. Je suis profondément amoureuse de la couleur caramel et chaude de ces voix-là. Petite, je me souviens avoir changé de place en chœur pour chanter avec les altos en croisant les doigts pour que le chef ne se rende compte de rien ! J’adorais chanter l’harmonie plus encore que la mélodie. 

 

On a beaucoup entendu parler récemment de la pression physique qui pèse sur les chanteuses. Avez-vous déjà ressenti cette pression ?

Je dois avouer que non. Mais je suis blanche et blonde, je ne suis pas la meilleure personne placée pour répondre à cette question. Ce que je peux dire par contre, c’est que nous avons besoin d’une plus grande diversité des corps sur scène pour que les mentalités bougent. Pourquoi voyons-nous tant de corps différents dans les spectacles de danse contemporaine et pas en récital et à l’opéra ? 

En revanche, je peux vous parler du culte du jeunisme qui existe dans notre milieu. Quand on est jeune et jolie, dans les métiers où on est exposées visuellement comme le nôtre, c’est toujours mieux que d’être une belle femme de 50 ans.  Je viens d’avoir 30 ans et je commence à me dire, « Ça y est, je suis un peu vieille, il faut que je fasse attention », pourtant je n’ai jamais été aussi à l’aise avec ce que je suis en tant qu’interprète et en tant que femme. Rien de tel que l’immense expérience d’une chanteuse comme Véronique Gens actuellement, non ? 

 

Cette pression sur le physique se traduit-elle par une atmosphère de compétition entre les chanteurs ?

J’ai toujours pensé qu’on choisit de se mettre en compétition ou non. Mais je n’ai pas non plus la naïveté de me dire qu’il y a de la place pour tout le monde car, à un très haut niveau, c’est tout simplement faux. L’idée étant par conséquent de construire la singularité de son propre parcours... De me lever le matin pour me poser la question « qu’est-ce que j’apporte par rapport à quelqu’un d’autre ? » et de travailler cette différence avec bonheur. 

Propos recueillis par Marie Humbert et Clara Leonardi

Transcription et synthèse par Mathilde Rémy, Marie Humbert et Clara Leonardi

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