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3 siècles, 3 pays, 3 compositrices : le Quatuor Hermès et Xavier Phillips au festival Rosa Bonheur
Mis à jour : 13 oct. 2020

11 septembre 2020
Festival Rosa Bonheur - Château Rosa Bonheur
Quatuor Hermès
Omer Bouchez & Elise Liu, violons - Yung-Hsin Lou Chang, alto – Yan Levionnois, violoncelle.
Xavier Phillips, violoncelle.
Dans le cadre bucolique du parc du château Rosa Bonheur, peintre du XIXe siècle spécialisée dans la
peinture animalière et considérée comme féministe par sa détermination à mener une vie libre, nous
avons pu assister à un concert du jeune Festival Rosa Bonheur. En plein air, nous avons retrouvé le
plaisir d’écouter de la musique en direct, un peu à l’écart du monde, tout en étant ancrés dans une
thématique bien actuelle, celle de la valorisation du travail des compositrices à travers les âges.
Sur les sièges et les transats, une quarantaine de personnes étaient réunies, dont une bonne partie
d’habitués (déjà), pour écouter un programme original traversant trois siècles de musique, dédié au
quatuor à cordes.
Avec un grand plaisir, nous avons pu découvrir une œuvre de Camille Pépin, compositrice que nous
ne présentons plus ici, Feuille d’eau de Silvacane, créée l’année dernière au festival des quatuors
du Luberon. Le lieu était on ne peut mieux choisi pour écouter cette œuvre, puisque celle-ci s’inspire
notamment d’une série de toiles de Fabienne Verdier. Camille Pépin a également puisé son
inspiration dans les motifs architecturaux dits « feuilles d’eau » d’abbayes cisterciennes, pour mieux
imaginer et créer ses propres images. Il en résulte une pièce pour quatuor à cordes, à
l’impressionnisme assumé, qui nous saisit dès les premières notes. Commençant dans un
bruissement sourd, les cordes à peine frottées s’éveillent peu à peu. Puis progressivement une
structure répétitive se met en place, des volutes de notes s’enroulent et se déroulent, d’où fusent
des éclats, des échos.
Pour renforcer cet effet, les deux violons se faisaient face afin de souligner les réponses de l’un à
l’autre (une disposition voulue par la compositrice). Ce qui pourrait sembler anodin n’est en réalité
qu’une preuve supplémentaire que rien n’est laissé au hasard dans ce quatuor structuré, maîtrisé et
tenu de bout en bout. Les visions sonores très personnelles de Camille Pépin émerveillent de
nouveau. Après bien des développements et des retours à la cellule rythmique, l’œuvre finit dans un
murmure, comme elle avait commencé, agrémentée tout au long de ses quinze minutes environ des
chants des oiseaux perchés dans les arbres environnants, comme s’ils faisaient partie de la partition.
Partis de France, nous avons ensuite rejoint les Pays-Bas. Henriëtte Boesmans, interdite d’activité sous
le régime nazi durant la Seconde Guerre Mondiale, est une figure étonnante à écouter d’urgence.
Dès l’"Allegro" qui entame l’œuvre, on est frappé d’y sentir comme une filiation avec le quatuor de
Debussy ou des œuvres de Franck. Une impression que nous confirmait ressentir également après le
concert une musicienne du quatuor Hermès. Pour autant, l’on sent aussi un style et une personnalité
affirmés, qui ne regarde pas derrière soi, dans ce quatuor terrien, voire sanguin dans son “Allegro
molto” final agité et physique.
Le programme se conclut par le Quintette à deux violoncelles d’Ethel Smyth (le quatuor fut rejoint
alors par Xavier Phillips), musicienne et grande militante féministe de son temps. Il s’agit d’une œuvre
de jeunesse, composée à 25 ans, qui si elle n’a pas encore la maturité que l’on connaît à Smyth,
présente des moments de pure grâce. Après un “Allegro con brio” quasi pastoral, on s’émerveille à
l’écoute de l’“Andantino”, séparé par un joyeux “Scherzo” d’un autre mouvement lent, un “Adagio
con moto” d’une grande douceur. Avec un “Allegro” brillant, le quatuor Hermès et Xavier Phillips
concluent en beauté une soirée idéale.
Saluons ici l’intelligence de la programmation, faite en étroite collaboration entre les artistes et le
festival. Aucune œuvre ne semble en décalage par rapport aux autres, au contraire : l’ensemble
forme un tout cohérent, varié et qui semble en même temps suivre une même ligne, les œuvres
dialoguant entre elles. Bien des orchestres programment une pièce contemporaine en première partie sans lien facilement décelable avec le reste du concert. Ici, les Feuilles de Camille Pépin
commencèrent de la meilleure des façons cette soirée en plein air, et firent grande impression sur le
public. Nous croyons savoir que cette œuvre devrait d’ailleurs rester quelques temps au répertoire
des musiciens de ce soir.
Enfin, saluons l’interprétation intelligente et fine du quatuor Hermès, une formation qui nous gratifia
de sa jeunesse et de sa maturité à la fois, unie et homogène pour des répertoires contrastés, épaulée
avec bonheur par Xavier Phillips.
Nous souhaitons également longue vie au festival Rosa Bonheur, et ses probables projets à longs
termes. L’audace et le courage de ses co-fondatrices, Lou Brault et Héloïse Luzzati, permirent en des
temps incertains de faire renaître l’espoir et le plaisir d’écouter des concerts de qualité avec un
message fort, celui de mettre en lumière les compositrices d’hier et d’aujourd’hui. Pour cette
première édition, mission accomplie.!
Amaury Quéreillahc
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