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Lili & Nadia Boulanger : Mélodies - Cyrille Dubois & Tristan Raës

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Février 2020

Quatre chants - Lili Boulanger Les Heures Claires - Lili Boulanger

Neuf Mélodies - Nadia Boulanger

Cyrille Dubois & Tristan Raës


Lili et Nadia Boulanger, voilà deux sœurs prodiges que l'on a coutume d'associer : Lili serait la compositrice surdouée, marquée par un destin tragique, et Nadia la grande pédagogue du XXème siècle. Soit ; mais comme très souvent, ces qualifications fort incomplètes, bien que justes, ne sont point remises en question, et assénées telles quelles dans les conservatoires (au moins, on n'oublie pas les sœurs Boulanger !). Car on néglige quelques faits notables : Nadia Boulanger a marqué des générations d'élèves, oui, mais elle était aussi pianiste, organiste, cheffe d'orchestre, cheffe de chœur, et... compositrice. Ce disque, par l'inséparable duo formé par Tristan Raës et Cyrille Dubois, met ainsi à l'honneur des mélodies des deux sœurs Boulanger – rendons justice, aussi, à l'excellent travail de redécouverte opéré par le Palazzetto Bru Zane, qui coproduit le disque.  La construction du disque est sobre : neuf mélodies de Nadia Boulanger, les Quatre Chants de Lili Boulanger, et le cycle Les Heures claires de Nadia Boulanger et Raoul Pugno ; et si la seule chose à craindre est une certaine monotonie, on peut reconnaître d'une part l'intérêt didactique de ce type de construction, d'autre part la volonté de rendre aux cycles leur cohérence. Cyrille Dubois et Tristant Raës, disons-le d'emblée, livrent ici un très beau disque, comme à leur habitude ; la voix claire du ténor est juste assez tendue pour laisser poindre une certaine fragilité, absolument nécessaire pour ce type de répertoire – on n'y aurait pas aimé une voix trop wagnérienne –, le piano de Tristan Raës a quelque chose de très narratif, et le produit final en est, souvent, bouleversant. Car  il faut aussi rendre à César ce qui est à César, et lire les textes de Verlaine, Maeterlinck, Verhaeren, ou encore Samain, magnifiques. Aussi juste à l'opéra que dans la mélodie française, Cyrille Dubois incarne ses textes avec beaucoup de subtilité, et Tristan Raës ne tombe jamais dans l'exagération théâtrale des contrastes : bref, la dimension narrative de ces mélodies, peu évidente à saisir, trouve ici un écho parfaitement mesuré.  Chez Nadia Boulanger, les lignes droites et parfaitement dirigées de Cyrille Dubois font merveille : « Prière » laisse entendre une voix au départ très douce, presque fragile, qui prend peu à peu, insensiblement, de la puissance,sans jamais trop en faire. Mention spéciale, aussi, à « Versailles » et son ostinato, à « Le Couteau », plus sombre, plus violent, magnifiquement interprété, à « Soir d'hiver », très théâtral, où Cyrille Dubois fait parfaitement entendre les deux personnages et Tristan Raës les contrastes dynamiques, à « La Mer », au piano hachuré, haletant, à la résonance éteinte.  Les Quatre Chants de Lili Boulanger sont déjà assez présents au disque, et tendent, on l'espère, à s'imposer de plus en plus comme classiques de la mélodie française : « Dans l'immense tristesse » est au répertoire de Mitsuko Shirai, Maria Riccarda Wesseling, Hélène Schneidermann et Doris Reinhardt (avec l'immense Emile Naoumoff, l'un des derniers élèves de Nadia Boulanger, brillant pianiste et compositeur) chez les voix de femmes, et Marc Mauillon (avec Anne le Bozec) pour les voix d'hommes (baryton, en l'occurrence). L'interprétation de Cyrille Dubois et Tristan Raës ne doit rien aux autres versions de ces mélodies et pose une nouvelle pierre sur l'édifice interprétatif : sauf erreur, il s'agit de la première version ténor – piano. À nouveau, il faut saluer la diction de Cyrille Dubois, et le fil de fragilité qu'il parvient à tendre ; le chef-d'œuvre « Dans l'immense tristesse » en particulier, trouve ici un très bel accomplissement (à entendre aussi, dans un autre registre, la très belle version d'Anne le Bozec et Marc Mauillon, dont la voix de baryton se confond avec le piano : on n’y entend pas tout à fait la même oeuvre, et les deux versions se complètent remarquablement).  Enfin, le cycle Les Heures Claires de Nadia Boulanger et Raoul Pugno clôt admirablement le disque : de l’intimité de “Le Ciel en nuit s’est déplié”, dont la structure narrative en fait une très belle forme, à l’intranquillité troublante de “S’il arrive jamais” superbement interprétée par les deux musiciens. Bref ; il s'agit là d'un disque idéal pour découvrir et redécouvrir Nadia et Lili Boulanger, leur subtilité harmonique, et surtout, poétique, qui fait de chaque mélodie un fragment bouleversant. Le livret, aussi, mérite son détour : il ne faut pas, insistons là-dessus, faire l'impasse sur la lecture des textes. Car c'est là que se niche l'intelligence musicale de Nadia comme de Lili Boulanger ; sur des poèmes qui se suffisent à eux-mêmes, il est difficile de ne tomber dans l'illustration naïve, et c'est là l'écueil qu'elles parviennent à éviter. 

Salomé Coq




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