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Halla Steinunn Stefánsdóttir - strengur

26 août 2022


Courrier records

Halla Steinunn Stefánsdóttir (compositrice, violoniste) Hölluþula Hvinskyn strengur (a) strengur (b) interprété par Davíð Brynjar Franzson strengur (c) interprété par Lương Huệ Trinh strengur (d) interprété par Kent Olofsson strengur (e) interprété par Mirjam Tally

Mirjam Tally

In the Bottomless Hollow of the Winter Sky Frost

Lương Huệ Trinh

Departure of a leaf Thinh không (“Ether”)


En islandais, le mot “Strengur” désigne aussi bien l’enchevêtrement de fils qui forme une corde ou une ficelle, les cordes des instruments éponymes, que le vent qui souffle de manière persistante et obsessionnelle autour des montagnes ou s’engouffre dans les rues.


“Je suis assise sur une plateforme en béton, érodé. La journée est ensoleillée, l'air frisquet. Le vent qui vient du détroit d'Öresund souffle comme une gjóla (une brise, un léger coup de vent). J'ai ramassé des pierres et des brindilles, épinglé du papier à dessin transparent sur le béton. Je sors mes vieilles cordes en boyau. Elles m'indiquent la direction du vent. J'en attache une à une balustrade, la trempe dans l'encre rouge et je la lâche. La gjóla se met à jouer avec elle, et la projette sur le papier. Je m'assieds sur le sol froid et je regarde. De temps en temps, je change la corde, prends une autre feuille de papier, ou retrempe la corde dans l'encrier. À mesure que la gjóla souffle, apparaissent des formes rouges. Le papier calque imprime par en-dessous les motifs des pierres encastrées dans le ciment, des fientes d'oiseaux et du lichen qui l’habite.”


Ces partitions graphiques dessinées par le vent, Halla Steinunn Stefánsdóttir — violoniste et compositrice, artiste multimédia et curatrice, chercheuse et directrice artistique de l’ensemble Nordic Affect — s’en est inspirée pour composer et interpréter à partir d’elles la pièce Strengur, qui donne son nom à l’album. Les sonorités sereines, consonantes, comme effleurées, de son violon (un David Hopf de 1780 environ, accordé ici selon le tempérament baroque), se mêlent aux craquements d’un tambour et d’une corde en boyau, et aux frottements du vent sur les cordes et la caisse d’un “violon éolien” à l’intérieur duquel un micro a été placé (voir la vidéo en bas de page). Composée et interprétée par elle-même, Hölluþula, qui la précède dans l’album, mêle la voix de son violon et une archive sonore : la voix de son arrière-grand-mère, la poétesse Halla Lovísa Loftsdóttir, enregistrée en 1969 en train de chanter un hymne du temps de la Passion du XVIIe siècle, l’électronique établissant le contact, la transmission entre ces deux chants, entre ces deux voix séparées par le temps (“Hölluþula” est la fusion de l’ancien mot “þula”, qui désigne les rimes poétiques, et du prénom Halla, que les deux femmes partagent). La troisième pièce, Hvinskyn (néologisme qui mêle “hvinur”, le sifflement du vent, et “skyn”, le sens au sens de ce que cela veut dire), est une sorte d’étude électronique sur la sensation du vent, dont la pièce fait entendre la matérialité, la physicalité — le souffle qui sature en frappant sur le micro ou sur nos tympans — et que la musique semble chercher (en vain) à apprivoiser en le faisant chanter.


Stefánsdóttir a demandé aux compositrices Lương Hu Trinh et Mirjam Tally et aux compositeurs Davíð Brynjar Franzson et Kent Olofsson, avec qui elle travaille depuis longtemps, d’interpréter chacun une pièce de musique électronique live, à chaque fois intitulée Strengur, inspirée de la partition graphique dessinée par le vent — les gestes de la composition et de l’interprétation pouvant ainsi s’échanger, s’indifférencier, s’indéfinir, confondus par le vent. Le Strengur de Lương Hu Trinh semble d’abord raconter l’élaboration progressive d’une mélodie à partir du vent qui devient voix, puis cri d’oiseau, avant de déboucher sur une seconde partie plus méditative et harmonique, d’où à la fin surgissent fugitivement des échos de voix et de musique de son Vietnam natal. L’interprétation de Mirjam Tally, qui est quant à elle née en Estonie, reprend presque à nu les éléments du dispositif initial que l’électronique amplifie progressivement dans un lent processus évolutif nimbé dans un continuum harmonique : les frottements du vent, la percussion, la voix.


Comme avec les trois pièces composées par Stefánsdóttir, ces différentes versions de Strengur sont elles aussi précédées et suivies d'œuvres pour violon et/ou électronique commandées par elle, parfois plus anciennes que Strengur. Alternant écriture et improvisation, Departure of a leaf, pour violon, voix et électronique, de Lương Hu Trinh, s'inspire d'une chanson folklorique islandaise, et explore l’hybridation entre les deux univers sonores si éloignés que sont la langue islandaise et la langue vietnamienne. Beaucoup plus heurtée, la pièce électronique Thinh không (“Ether”) prolonge Strengur, en faisant se percuter violemment, dans un univers amplifié habité de résonances et d’échos, expirations et chuchotements à la limite du cri étouffé, sonorités graves et arrachées d’un instrument à cordes, percussions résonantes et souvenirs vagues de cérémonies traditionnelles.


In the Bottomless Hollow of the Winter Sky, pour violon et électronique, de Mirjam Tally, explore l’envers d’une mélodie simple qu’elle fait émerger de l’inconscient bruitiste du violon — ses points de tension et de pression, ses effleurements et ses craquements, ses gémissements et ses râles — avant de la pulvériser. Enfin, la pièce électroacoustique Frost nous plonge dans des entrailles sonores où semblent se confondre, à l’échelle du gigantesque, la pression de l’eau dans les grandes profondeurs, la soufflerie d’un orgue, la respiration d’un animal, les craquements de la glace.


Durant deux heures et vingt minutes, toutes ces pièces donnent à entendre une musique d’une très grande poésie. Où, dans une calme atmosphère mystérieuse, sonorités du violon à la limite de l’improvisation, bruit du vent et du monde, chant et chuchotement s’entremêlent dans un halo de musique électroacoustique pour dessiner des paysages sonores envoûtants, presque narratifs mais sans début ni fin, et dans lesquels l’auditeur s’immerge.


La relation écologique entre la voix, le corps et la nature qu’instaure Halla Steinunn Stefánsdóttir dans Strengur prolonge enfin d’une certaine manière le projet qu’elle a initié avec Nordic Affect en 2018 pour H e (a) r, où les créations des compositrices Hildur Guðnadóttir, María Huld Markan Sigfúsdóttir, Anna Thorvaldsdottir et Mirjam Tally étaient tressées entre elles par le travail électroacoustique de Stefánsdóttir sur la langue islandaise et la voix féminine — donnant une forme musicale à la sororité.


Lambert Dousson





Site Web de Halla Steinunn Stefánsdóttir : https://www.hallasteinunn.com

Site Web de Lương Huệ Trinh : http://www.luonghuetrinh.com

Site Web de Mirjam Tally : https://mirjamtally.com




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