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Compositrices : à l'aube du XXème siècle

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Février 2020

Sonate, Op. 64 - Mel Bonis Nocturne - Lili Boulanger D'un matin de printemps - Lili Boulanger Suite pour flûte et piano - Clémence de Grandval Pièce, Op. 189 - Mel Bonis Scherzo, Op. Posthume 187 - Mel Bonis Sérénade aux étoiles, Op. 142 - Cécile Chaminade Trois petites pièces - Augusta Holmès

Juliette Hurel & Hélène Couvert


Comme nous le soulignons régulièrement dans nos colonnes, les musiciens restent les meilleurs ambassadeurs des compositeurs et compositrices connus ou inconnus. La flûtiste Juliette Hurel et la pianiste Hélène Couvert nous en donnent ici une excellente illustration, dans leur nouvel album consacré à plusieurs compositrices de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. A l’origine de ce programme, la sonate de Mel Bonis. Les deux musiciennes ont ainsi expliqué sur Radio Classique que, jouant cette œuvre depuis plusieurs années ensemble, elles ont souhaité inclure des œuvres d’autres compositrices, et ont alors découvert un vaste répertoire inconnu. C’est d’ailleurs cette fameuse sonate qui ouvre l’album. Construite en quatre mouvements, la pièce est d’humeur assez mélancolique, notamment dans le premier mouvement : tandis que la main gauche se fait délicate et tendre, la main droite et la flûte se répondent dans une longue plainte, dialoguent, s’effacent, s’éloignent, se rejoignent. Après un vif "Scherzo" virevoltant, l’"Adagio" semble rempli d’espoir, comme si la musique sortait de sa torpeur première. Piano et flûte font jeu égal, avant un final "Moderato" tourmenté où la mélodie de la flûte semble toujours vouloir s’échapper. Deux autres œuvres de Mel Bonis sont présentes plus loin. Une Pièce, si chantante que l’on pourrait la classer comme une mélodie (la compositrice en ayant composé par ailleurs une trentaine), tant des paroles pourraient être placées sur la ligne de la flûte qui incarne ici la voix humaine. Une pièce touchante et captivante, qui précède le Scherzo qui conclut ce portrait musical de Mel Bonis avec ce style impressionniste qui rappelle Debussy, dont Mel Bonis fut la condisciple au conservatoire de Paris.  A travers ces différentes approches de l’œuvre de Mel Bonis, on se rend compte de l’étendue du talent de celle dont la vie fut un véritable roman. Élève brillante du Conservatoire de Paris, remarquée par César Franck et reconnue par ses professeurs, elle connut plusieurs interruptions en tant que compositrice du fait de son mariage et du rôle que la société lui imposait comme mère au foyer devant prendre soin de sa famille (Mel Bonis était d’ailleurs un pseudonyme masculin destiné à faciliter la diffusion de sa musique). Autre figure emblématique des l'école des compositrices françaises du début XXème siècle, Lili Boulanger, davantage connue que ses paires de la même époque, est ici présente à travers deux pièces. Tout d’abord, un Nocturne romantique et profond, à l’évocation raffinée et colorée d’un soir qu’on imagine d’été ; en contraste, une autre saison est ensuite évoquée, avec D’un matin de printemps (écrit pour différentes formations dont celle de l’album, du violon/piano jusqu’à la version orchestrale), débordant de l’enthousiasme généré par une journée ensoleillée où tout s’ouvre, mais qui laisse entrevoir une douleur sourde. Dans un autre univers, la Suite pour flûte et piano de Clémence de Grandval relève davantage de la musique de salon, légère et enlevée, plus insouciante mais avec une vraie personnalité. La compositrice, fille de baron, vicomtesse, fut élève de Saint-Saëns, et à l’instar de Mel Bonis reprit la composition après la naissance de ses enfants malgré les préjugés attachés à la figure de la « femme artiste ». Bien qu’ayant beaucoup composé pour le hautbois, Clémence de Grandval fait ici une utilisation intéressante de la flûte. La structure même de l’œuvre étonne : un court "Prélude", suivi d’un "Scherzo" sautillant et pétillant, puis d’un "Menuet", forme qu’on pourrait qualifier de désuète en cette seconde moitié de XIXe siècle. La romance qui suit reste en dépit de son titre assez sage, plus rêveuse qu’enlevée, avant un final de nouveau virtuose. La virtuosité est un aspect caractéristique de cette œuvre, sereine et jamais grave : l’accent est ici mis sur la vivacité et la souplesse de l’instrument que le piano suit dans une course permanente. Si les développements semblent moins grandioses, ils témoignent cependant d’un talent et d’une maîtrise qui nous laissent de nouveau contemplatifs lorsque nous constatons qu’hormis ses œuvres pour hautbois, Clémence de Grandval est pour ainsi dire quasiment inconnue (y compris des musiciennes qui l’interprètent ici, comme elles l’ont indiqué lors d’une récente interview). Autre destin de compositrice contrarié, celui de Cécile Chaminade. Enfant prodige protégée de Bizet, qui poussera son père à lui faire prendre des cours en privé (car il n’était pas convenable pour une jeune fille de devenir musicienne), elle fut une compositrice prolifique et une concertiste reconnue avant de mourir dans l’anonymat. Sa Sérénade aux étoiles, au romantisme évocateur, est ici habilement servie par les deux musiciennes. L’album se termine avec une autre enfant prodige, Augusta Holmès, qui aura côtoyé Saint-Saëns, Liszt et Wagner dont elle s’est beaucoup inspirée, tous ayant loué son talent. Ses Trois petites pièces sont trois miniatures poétiques et contrastées. La "Chanson" rappelle un lointain matin de Grieg, le "Clair de lune", sérénade solitaire et mélancolique, est une autre petite merveille de pureté. A l’inverse, la "Gigue" enlevée et joyeuse, est une autre course folle entre le piano et la flûte. Ce programme est servi avec générosité par deux musiciennes qui se connaissent bien, Juliette Hurel et Hélène Couvert ayant en effet enregistré deux autres albums ensemble. Cette complicité s’entend et se sent dans l’équilibre des sonorités, des timbres, du dialogue permanent entre les deux instruments où l’un n’écrase jamais l’autre. Les compositrices de cet enregistrement, bien qu’ayant chacune des particularités, partagent des points communs : au-delà de s’inscrire dans les courants musicaux de leur époque, elles eurent à se battre pour être compositrices, usèrent pour certaines de pseudonymes pour que leurs œuvres puissent être davantage visibles. La plupart de ces pièces ont un caractère vocal, dans leurs mouvements lents plus particulièrement, telles des mélodies. Saint-Saëns dira d’ailleurs à propos de celles de Clémence de Grandval : « Elles seraient certainement célèbres si leur auteure n'avait pas le tort irrémédiable auprès de bien des gens d'être femme ».




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