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La Pologne vue par les femmes à la Salle Gaveau

Dernière mise à jour : 19 août 2021


17 novembre 2018 - Salle Gaveau



Au premier balcon de la salle Gaveau, un chuchotement parcourt le public, plutôt âgé, lorsque l’orchestre fait son entrée. « Vous avez vu ? C’est une femme ! », s’exclame mon voisin, un monsieur d’une soixantaine d’années. Eh oui, le concert sera féminin ou ne sera pas : c’est une femme qui dirige l’orchestre, mais aussi une femme qui a composé la première œuvre, deux Miniatures (Elzbieta Sikora), une femme qui interprètera ensuite le Concerto pour violon n°5de Grazyna Bacewicz, la plus célèbre des compositrices polonaises. Dernière satisfaction : à l’orchestre, les premiers pupitres des cordes sont massivement investis par les musiciennes, les deux clarinettistes sont des femmes, et il y a aussi une bassoniste. Le concert démarre donc sous de bons auspices…


Il s’ouvre avec la première des Miniatures d’Elzbieta Sikora. En juxtaposant différents effets chez les cordes, du ricochet au trémolo dans le suraigu, et des accords dissonants progressivement construits par les différents instruments à vent, la compositrice installe une atmosphère inquiétante, accentuée par des roulements théâtraux aux percussions. Ici, la grande palette de couleurs des cordes, qui vont chercher de très beaux pianos, s’allie à la justesse impeccable des cuivres qui met en valeur la complexité de l’harmonie. Enfin, on apprécie la clarté de la direction de la cheffe, Marzena Diakun, qui semble éviter à l’orchestre de se laisser désarçonner par cette musique compliquée. La quatrième des Miniatures, exécutée ensuite, met davantage en valeur les cuivres, au timbre intéressant en sourdine, que les cordes, que l’on aurait aimé plus nettes et agressives. Mais peu importe : le public de la salle Gaveau semble ravi, et il faut bien avouer que cette musique, certes dépourvue de toute ligne mélodique, se caractérise par un modernisme très assumé, et a le mérite d’être spectaculaire.

Un nouveau chapitre s’ouvre avec l’entrée de la violoniste Geneviève Laurenceau, qui interprète le Concerto de Bacewicz.


Si l’introduction orchestrale, qui installe un climat mystérieux et inquiétant, met en valeur la précision des attaques chez les vents, elle manque d’un peu d’entrain chez les cordes, et il apparaît rapidement que l’intérêt de l’œuvre résidera dans la partie de la soliste. Dès son entrée, celle-ci montre une virtuosité remarquable, tant dans les nombreux traits en doubles cordes que dans ceux qui lui imposent d’explorer l’aigu de la corde de sol – la plus grave du violon. Dans le thème lent du premier mouvement, accompagnée par les pizzicati des cordes et les soli des vents, elle dessine une grande plainte déchirante, avec un vibrato très actif et parfaitement dosé. Sa cadence montre également une excellente compréhension et une bonne appropriation de l’œuvre : c’est une méditation aux accents slaves, mais aussi une réflexion personnelle que Geneviève Laurenceau donne à entendre, y compris dans les moments virtuoses en doubles cordes. Cependant, c’est avant tout sa grande énergie qui est impressionnante, lorsqu’elle semble lancer l’orchestre après un trait aigu. Quel dommage que, dans le registre médium, elle soit parfois couverte par l’orchestre !


Le deuxième mouvement reprend le climat plaintif déjà brièvement exposé, pour le développer dans un long thème très chanté, interrompu par les battements menaçants des percussions et des tuttis de cordes volontairement grinçantes, en cordes à vide. Rêveur, mais aussi obsédant, le thème en devient parfois presque effrayant. Différents changements d’atmosphère se succèdent, bien rendus par l’orchestre, pour déboucher sur un climat mystérieux, accentué par les trilles aigus du violon – on croirait entendre un oiseau.


Le troisième mouvement prendra lui l’apparence d’une danse infernale. Grande agressivité des cordes de l’orchestre, et phénoménale énergie de la soliste, qui déroule des traits très techniques avec une facilité déconcertante, se conjuguent pour éblouir le public. L’œuvre s’achève dans une explosion de cuivres et de bois, et un dernier éclat de virtuosité.


Le public, enchanté par l’impressionnante violoniste, en oublierait presque la grande complexité de l’œuvre de Bacewicz. On ne peut que s’extasier face au talent de cette très grande artiste polonaise, dont on regrette qu’elle ne soit pas jouée plus souvent.

Clara Leonardi


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