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Lumière sur les compositrices romantiques françaises - 2/8

Mars 2023

« Compositrices », Bru Zane Label


« Après avoir écouté ces dix heures de musique, il ne sera plus possible d’évacuer les compositrices du champ de la programmation de concerts sous prétexte d’absence d’ouvrages valables ou consistants. »

(Alexandre Dratwicki, Palazzetto Bru Zane)


En 8 disques, 21 compositrices et plus de 160 pièces, l'ambition de ce coffret discographique publié par le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française est donc de favoriser une redécouverte massive du répertoire des compositrices romantiques françaises. Pour saluer ce projet dont l'ampleur est à la mesure de la richesse de cette musique, ComposHer publiera tout au long du mois de mars des comptes-rendus de chacun des disques.

Bru Zane Label

Disque #2

Cécile Chaminade Six Pièces romantiques (1890) : 1. Primavera 2. La Chaise à porteur

3. Idylle arabe 4. Sérénade d’automne 5. Danse hindoue 6. Rigaudon Roberto Prosseda et Alessandra Ammara, piano Rita Strohl Grande Fantaisie-Quintette (1886) :

Moderato maestoso – Scherzo. Allegro moderato – Intermezzo – Thème et variations Ismaël Margain, piano ; Quatuor Hanson

Charlotte Sohy Symphonie en ut dièse mineur (1917) : I. Lent. Vif – II. Vif. Lent. Vif – III. Vif Orchestre national de France ; Debora Waldman, direction



Ce second disque du coffret du Palazzetto Bru Zane regroupe des pièces pour piano seul de Cécile Chaminade, ainsi que deux œuvres fleuve du répertoire de musique de chambre et d’orchestre: la Grande Fantaisie-Quintette de Rita Strohl, et la Symphonie en do dièse mineur de Charlotte Sohy.


Le disque s’ouvre sur les Six pièces romantiques op. 55 de Cécile Chaminade. Née dans une famille de musicien·nes, première compositrice à recevoir la légion d’honneur, Chaminade a écrit de nombreuses pièces pour piano. Les Six pièces romantiques sont toutefois l’une de ses deux seules œuvres écrites pour quatre mains. Au caractère quasi-aérien, elles mettent en valeur le touché perlé et fin des interprètes. Primavera est légère, avec de nombreuses gammes, sur le rythme d’une barcarolle. On y découvre un touché délicat et des transitions entre les thèmes effectuées tout en finesse. La chaise à porteurs est plus sautillante, alliant une basse rythmée et une mélodie piquée aux nuances accentuées, dans lesquelles on retrouve la légèreté et la finesse de l’interprétation. L’idylle arabe s’ouvre sur le rythme d’une croche plus quatre doubles croches, qui restera omniprésent dans la pièce. Initialement plus calme, l’interlude central est puissant, dans des nuances plus forte, surprenantes, avant de retrouver le rythme caractéristique et la mélodie égrenée du début. On découvre un caractère plus mélancolique dans la Sérénade d’automne, dont les arpèges perlées font écho à la première pièce. Le son du piano dans les tierces brisées, très pur, rappelle presque celui d’une harpe. La Danse hindoue qui suit marque un contraste assez frappant avec la pièce précédente: plus rythmée, plus marquée. Les doubles croches omniprésentes enrichissent et alourdissent la mélodie qui comporte de nombreuses marches harmoniques. Enfin, on retrouve une ligne mélodique plus simple, aux notes détachées, dans le Rigaudon, aux accords résonnants beaucoup plus classiques, dont le passage central évoque l’ère baroque.


La Grande Fantaisie-Quintette de Strohl, écrite en 1886 mais jamais publiée, laisse deviner la diversité des thèmes épiques de la sonate dramatique pour violoncelle et piano, composée quelques années plus tard. Strohl imagine des mélodies complexes, bouillonnantes d’énergie et pleines de tension mélodique, qui mettent à l’honneur chacun des instruments du quintette. Le premier mouvement, « Moderato Maestoso », débute par des grandes gammes au piano, créant une impression de bouillonnement et d’instabilité à laquelle s'ajoutent les ponctuations en homorythmie des cordes. Ce premier thème, qui illustre parfaitement le côté majestueux du mouvement, est interprété avec une grande maîtrise, presque de la retenue. Les dialogues qui suivent entre les différents instrumentistes, notamment violon-piano et violoncelle-piano, sont plus apaisés, avec un son très rond. On apprécie particulièrement l’harmonie sonore du quatuor dans tous les passages rythmiques, à l’unisson, qui font ressortir une grande précision d’ensemble. Le mouvement comporte de nombreuses phrases au caractère épique, toujours dans une interprétation contrôlée, avant de se finir de manière plus apaisée, par un thème du violon de plus en plus épuré.


Le piano seul ouvre le second mouvement par un thème rythmé et quasi-martial qui précède l’entrée du quatuor à cordes. Ce dernier adopte dès le début un jeu plus engagé que dans le premier mouvement, notamment dans les passages forte. Le caractère épique du mouvement précédent revient à de nombreuses reprises, dans les thèmes qui comportent de nombreuses notes répétées. Ces notes sont parfois plus légères, sautillantes, selon la tonalité du thème. Le mouvement se clôture par une culmination forte et résolue, en mode majeur. L’ « Intermezzo », seul véritable moment d’apaisement dans le quintette, regroupe des thèmes plus légers et guillerets avec de nombreuses marches harmoniques, principalement menées au violon. La justesse du quatuor est remarquable dans les différents passages très doux, presque à nus. Le toucher du piano, perlé, n’est pas sans rappeler l’interprétation des six pièces de Chaminade. La fin du mouvement, qui reprend un motif à l’unisson, forte, nous laisse imaginer un dernier mouvement plus fougueux.


Le final du quintette est une véritable épopée organisée en thèmes et variations. Le thème initial, au violoncelle et au piano, crée une atmosphère très mystérieuse, au travers de nombreuses secondes augmentées. La partie de piano se transforme en un accompagnement de croches tandis que le violoncelle continue l’exposition du thème. Les différentes variations exploitent ensuite toute la palette musicale du quintette, avec de nombreux thèmes en dialogue entre un des instruments du quatuor et le piano mais aussi des passages en fugato dans lesquels on peut apprécier la justesse et la rondeur du son de chacun.e des interprètes. La mélodie bouillonnante du piano dans l’ultime variation fait écho au premier mouvement, dramatique, épique.


On découvre enfin la Symphonie en do dièse mineur, également dite « de la Grande Guerre », de Charlotte Sohy. Élève de Vincent d’Indy et César Franck, mariée à un autre compositeur, on doit la découverte de cette symphonie, jouée pour la première fois en 2019, à son petit-fils. Résolument autobiographique, la symphonie s’inspire du contexte historique et des éléments de la vie personnelle de la compositrice : l’éclatement de la première guerre mondiale, la mort de son ami Albéric Magnard, les nouvelles du front.


Le premier mouvement est sombre, lyrique et tumultueux. Il débute par une sorte de longue introduction dans laquelle la tension musicale se développe progressivement, d’abord avec les vents et la harpe, puis dans le thème lyrique, assez déchirant, qui commence aux cordes avant d’être repris par les bois. Les nombreuses secondes augmentées exacerbent la tension mais aussi l’attente de l’épanouissement d’une plus longue ligne mélodique. Ce caractère sombre et bouillonnant se retrouve tout au long du mouvement, bien que l’écriture très fournie rende parfois difficile de saisir précisément les intentions musicales. De manière surprenante, ce mouvement se clôt soudainement par un thème beaucoup plus apaisé, presque détimbré, en majeur, qui contraste fortement avec la densité précédemment entendue.


Le second mouvement s’ouvre sur un thème dansant et plutôt joyeux aux bois, piano, repris ensuite par les violons. De nombreuses mélodies rapides s’entremêlent entre les différents instruments, avec une remarquable clarté. Le dialogue vents/cordes se fournit peu à peu pour aboutir à un accord rageur, marquant le passage vers un thème plus lent, plus chanté, plus mélancolique. Les ponctuations mystérieuses des cuivres confèrent un caractère sombre qui rappelle le premier mouvement. Une subtile transition nous ramène au thème initial, qui finit ce mouvement sur une note dansante et joyeuse.


Le troisième mouvement débute par des séries de triolets dans lesquelles il est longtemps difficile d’identifier un thème. Lorsque la mélodie émerge chez les violons, son caractère lié et rapide nous rappelle le mouvement précédent, mais les harmonies parfois sombres font écho au début de la symphonie. Les nombreux trémolos qui circulent entre les différents instruments de l’orchestre créent une impression de foisonnement et d’agitation. Rapidement, la mélodie des violons reprend les secondes augmentées du premier mouvement, créant une atmosphère dramatique ponctuée par les sonorités inquiétantes des cuivres qui se réapproprient progressivement le thème, plus sombre, dans un grand crescendo appuyé par la timbale. L’immense culmination aboutit à un do dièse long, tenu, qui disparaît dans un silence, dramatique et résolu, à l’image de cette immense fresque symphonique.


Noémie Bruère




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