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Regards d'aujourd'hui - Florilège

3 décembre 2022




La prise de conscience écologique - et l’anxiété, voire les sentiments de deuil, qui l’accompagnent - touchent aussi les compositeurs et compositrices contemporain·es. Il n’est pas étonnant alors que ce sujet cruellement présent dans nos esprits se retrouve dans leur œuvre. Si l’on pense aussi à l’affinité entre la musique et les oiseaux, on comprend la naissance dernièrement de plusieurs pièces leur étant dédiées, grands cycles élégiaques pleurant la disparition de tant d’espèces. C’est le cas de Spectral Spirits, œuvre en 13 mouvements de la compositrice états-unienne Edie Hill, commandée par le chœur The Crossing. La pièce est conçue comme une grande cérémonie autour de quatre espèces, disparues ou présumées disparues (« Passenger pigeon », « Carolina parakeet », « Eskimo curlew », « Ivory-billed woodpecker »), et met en musique entre autre des poèmes de Holly J. Hughes. Spectral Spirits se déploie entre récitatifs modernes mettant en scène des témoins de l’existence passée des oiseaux, et grandes élégies chorales, poignantes, racontant les causes - humaines - de leur déclin. Edie Hill livre une œuvre douloureuse, mais aussi empreinte de lumière alors qu’elle décrit les couleurs ou les mouvements des oiseaux disparus. Les vols en piqué des oiseaux, leurs migration majestueuse, leur chute est dessinée par l’écriture imagée de la compositrice. Le texte est naturellement au cœur de la musique, et des bribes de phrases ressortent, tragiques et accusatrices : « Not knowing they would soon be gone. ». The Crossing, dirigé par Donald Nally, met toute sa justesse et sa précision, mais aussi toute son émotion (en somme, tout son art) au service de cette oeuvre qu’on ne peut pas écouter avec indifférence, et qui laissera peut-être même l’auditeur·ice le cœur serré, dans le silence. « These birds are still singing to us. We must listen. »



Marie Humbert

 

with eyes the color of time (2020) de la violoniste et compositrice hawaïenne Anne Leilehua Lanzilotti se compose de huit mouvements enchainés, qui font référence à des œuvres exposées dans le musée d’art contemporain d’Honolulu (Spalding House) au moment de son ouverture. Son titre provient du livret de L'Enfant et les sortilèges de Ravel : « … avec des yeux couleur du temps ». Chaque mouvement est bref, ténu, et déploie lentement un processus d’une grande simplicité, fait de gestes élémentaires, de motifs répétés, de longues tenues, de frôlements, de frottements, de raclements. L’œuvre croise ainsi les techniques instrumentales dites étendues et l’esthétique minimaliste, retenant des premières leur manière de donner à entendre la fragilité du geste musical ou au contraire sa violence, et de la seconde sa capacité à construire un discours sensible sans user de rhétorique.

with eyes the color of time s’ouvre sur un fa laissant échapper des harmoniques, et d’où émerge progressivement une seconde mineure descendante : lamento à l’état d’épure, qui se développe calmement. Puis la musique se tait. Retentit alors le frottement doux, lentement pulsé, atone des archets sur le chevalet des instruments, interrompu par un motif descendant, presque romantique, mais dont le lyrisme se voit vidé, évidé par sa propre répétition, peu à peu submergée par les raclements des archets écrasés sur les cordes qui envahissent la totalité de l’espace sonore. Un silence, et l’œuvre semble recommencer, sur le même fa, puis avec des motifs répétés proches mais plus heurtés que ceux qui résonnaient auparavant. À nouveau la musique disparaît, remplacée par des bruits de graviers qui roulent ou une chaîne que l’on traîne au sol. Le dernier mouvement semble quant à lui récapituler toute l’œuvre, et résoudre les tensions qui s’y sont accumulées, comme si la musique cherchait une consolation, jusqu’à l’épuisement. Les instrumentistes abandonnent alors leurs instruments, et c’est avec leur propre voix qu’ils closent ce qui apparaît comme un rituel de la disparition — le musée a fermé définitivement ses portes en décembre 2019 alors que Lanzilotti finissait d'écrire cette œuvre.


Lambert Dousson

 

C’est en Août 2022 que Julian Velasco, saxophoniste américain, sort son premier disque solo, As we are, accompagné par le pianiste Winston Choi. On y trouve des œuvres de différents compositeurs américains tels que David Maslanka ou Christopher Cerrone, mais ce sont les Court Dances for flute et piano composées en 2017 par Amanda Harberg qui ont retenu notre attention. C’est Julian Velasco qui a adapté la pièce pour saxophone soprano, ce qui permet une écoute différente du timbre de la flûte.

La première danse, « Sarabande », est d’une fraîcheur sans nom ! La mélodie, exposée dès le début, sera le fil de ce mouvement énergique grâce au tempo allant. Les rythmes choisis nous gardent en haleine jusqu’aux dernières mesures brillantes.

Après une première danse vive, le deuxième mouvement “Air de cour” permet de se poser un peu. Le rythme régulier du piano permet à la mélodie lyrique et mélancolique, interprétée par le saxophone de s’exprimer. Amanda Harberg laisse la possibilité au saxophoniste de s’exprimer librement, lors d’une cadence à l’air quasi improvisée, sans piano.

Pour finir, dans « Tambourin », nous retrouvons un piano percussif, ainsi que l’utilisation de techniques musicales plus contemporaines comme le flatterzunge (faire vibrer sa langue en soufflant dans l’instrument), ce qui apporte de la conviction quant à l’expression du texte.

A travers ces Court danses, Amanda Harberg réussit à allier tradition de genre et fraîcheur, sans oublier de nous emporter dans un univers sonore imagé.


Pauline Beton








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