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Marianne Piketty & Le Concert Idéal - Le Fil d'Ariane

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Mai 2019

Nante - Arianna: Elegiaco Locatelli - Introduction théâtrale, Op. 4 No. 2: Allegro (I), Andante Nante - Arianna: Mesto Locatelli - Introduction théâtrale, Op. 4 No. 2: Allegro (II) Locatelli - Concerto grosso en Do Mineur, Op. 1 No. 11: Largo, Allemande Allegro Nante - Arianna: Sotto voce Locatelli - Concerto grosso en Do Mineur, Op. 1 No. 11: Sarabande Largo, Gigue Allegro Nante - Arianna: Giga Locatelli - Concerto grosso en Ré Majeur, Op. 4 No. 7: Allegro (I), Largo, Andante Nante - Arianna: Specchio Locatelli - Concerto grosso en Ré Majeur, Op. 4 No. 7: Allegro (II) Nante - Arianna: Paspié, Lamento Locatelli - Sinfonia Funebre en Fa Mineur, DunL 2.2: I. Lamento (Largo) Nante - Arianna: Labirinto Locatelli - Il pianto d'Arianna


Autour du mythe d’Ariane, Marianne Piketty et son Concert Idéal ont voulu tisser un disque cohérent… entre musique baroque et création contemporaine. Si les puristes frémiront en constatant qu’on juxtapose ici des extraits d’œuvres, et non les mouvements dans leur ordre originel, les curieux seront ravis : de Pietro Locatelli à Alex Nante, le son des cordes n’a pas changé, parfois pétillant et métallique, parfois transparent et aérien. C’est ce son, couplé à l’énergie de la violoniste, qui fait la saveur de ce disque audacieux.

L’“Elegiaco” d’Arianna, d’Alex Nante, sert d’introduction à ce voyage initiatique. Méditatif, presque improvisé, il exige de la violoniste une grande souplesse, avec de longues doubles cordes tenues, et met en lumière son son métallique, presque scintillant. La tension, construite progressivement, mène tout naturellement à l’explosive Introduction théâtrale op. 4 n°2 de Locatelli : le jeu percussif des cordes, tout en piqués et rebonds, met en valeur les articulations fines et la rythmique syncopée de l’“Allegro”, puis se fait rêveur, presque effacé, dans un “Andante” un peu pâle, avant un final dont ressort avant tout le caractère dansant. Écho à l’“Andante”, le “Mesto” d’Arianna explore des harmonies presque jazzy, avec, à nouveau, ces soufflets, ces lentes progressions qui soutiennent la narration.

Plus sobre, moins foisonnante, l’écriture de Locatelli dans le Concerto grosso op. 1 n°11 met davantage en valeur le violon que l’orchestre, parfois réduit à un simple soutien harmonique (“Andante”). Si Marianne Piketty, dans les mouvements lents, s’efforce à une sobriété qui peut sembler terne, soulignant simplement les progressions harmoniques, elle fait ressortir à merveille le caractère presque populaire de cette musique (“Allemande”), lorsque l’écriture plus fournie exige d’entraîner l’ensemble des cordes. En miroir, si le “Sotto voce” d’Arianna, construit par des tenues de cordes tuilées, dissonantes, conserve un caractère méditatif, la “Giga”, qui se veut une déconstruction de la danse baroque, en perd le caractère rythmé et populaire, pour s’aventurer dans des effets de soufflets qui font frissonner, sous la mélodie d’un violon de plus en plus affolé.

Le Concerto grosso op. 4 n°7 rassure donc : son “Allegro”, souriant mais teinté d’une pointe de nostalgie, met en valeur un beau timbre d’ensemble des cordes. L’humoristique “Paspié” d’Arianna reprend les motifs mélodiques de l’œuvre et les déconstruit progressivement, pour ne laisser subsister qu’un violon désespéré, écho à la lamentation passionnée du “Specchio” et un tapis de cordes âpres, senza vibrato. Le doute subsiste dans certains accords du poignant “Lamento” qui suit : est-ce de la musique baroque, de la musique contemporaine ? Le caractère dramatique de l’harmonie, l’ornementation du violon prépare l’arrivée de la Sinfonia Funebre en Fa mineur de Locatelli, pièce qui remet en perspective le caractère dramatique de l’œuvre d’Alex Nante en proposant une tension fondée cette fois sur des changements d’harmonie habilement soulignés. Mais la tension n’atteint véritablement son paroxysme que dans le “Labirinto”, dernier extrait d’Arianna : après une série d’accords que les musiciens attaquent avec hargne, s’installe une atmosphère plus contemplative, servie par les aigus coupants des violons, puis une pantomime grinçante, à laquelle les musiciens confèrent un caractère populaire et rythmé, avant une dernière méditation du violon, toujours naturel et improvisé - image de l’égarement du labyrinthe, ou du fil ténu qu’Ariane jette à Thésée ?

Mais l’apothéose du disque est bien Il pianto d’Arianna, l’œuvre que Locatelli a composée en s’inspirant de l’héroïne mythologique. Sens de la narration de l’orchestre, finesse du violon solo se répondent dans une œuvre où les tableaux se succèdent mais ne se ressemblent jamais. Si l’on regrette parfois que le violon semble simplement surnager au-dessus de l’orchestre, plutôt que véritablement prendre la parole, c’est aussi cette fragilité assumée qui fait son charme, et évoque le personnage d’Ariane. On retiendra surtout de cette œuvre une troisième partie où des cordes parfaitement homogènes dessinent à l’aide de changements d’harmonie et de nuances un tableau mystérieux, aux nuances crépusculaires.

C’est finalement moins le contraste entre baroque et modernité qui surprend - la musique d’Alex Nante se glisse habilement entre les mouvements de Locatelli, reprenant les mêmes motifs, exigeant des musiciens les mêmes articulations - que celui des caractères : la danse et l’exubérance ne sont jamais loin chez Locatelli, alors que c’est avant tout une forme d’intériorité et d’angoisse existentielle qui s’exprime chez Nante. Malgré tout, le lien persiste grâce au dynamisme et à l’agilité des musiciens, qui semblent avoir tissé ce disque d’une formidable cohérence en un seul morceau.

Clara Leonardi


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