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L’imagerie musicale de Victoria Bond :« Instruments of revelation and other works »

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Avril 2019

Victoria Bond : Instruments of revelation Frescoes and Ash Leopold Bloom's Homecoming Binary Chicago Pro Musica


Née en 1945, Victoria Bond est une compositrice prolifique qui s’est intéressée à toutes les formes musicales. Également cheffe d’orchestre, elle est la première femme à avoir obtenu un doctorat en direction d’orchestre à la prestigieuse Juilliard School. Musicienne inspirée, son large catalogue couvre tous les styles : ballets, opéra, concertos, musique vocale, et musique de chambre, à laquelle est consacré ce disque paru chez Naxos. Compilant les premiers enregistrements mondiaux d’œuvres composées au cours des vingt dernières années, il témoigne de son style imaginatif et de son approche imagée des thèmes qu’elle aborde.

Instruments of revelation, qui ouvre le disque, en est une parfaite illustration. Inspirée des cartes de tarot divinatoire, cette pièce écrite pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano, est une succession de trois portraits de personnages issus de la cartomancie.  Première figure du tarot, « The magician » représente le mystère et la réflexion. La musique de Victoria Bond évoque donc une atmosphère sombre et animée, distillée par les cordes, au sein de laquelle le piano donne le rythme aux moyens d’accords sourds et dissonants, quand les vents ponctuent la partition d’envolées d’arpèges, telles des incantations lancées vers le ciel. Symbole passif évoquant le savoir, l’inconscient et la connaissance sacrée, « The high priestess » est au contraire une miniature toute en retenue. Flûtes et cordes, dans des aigus et cristallins, annoncent une apparition mystique, voilée et lumineuse. La clarinette leur répond dans les graves, évoquant une force tranquille ensuite reprise aux cordes, faisant naître un dialogue équilibré et poétique et une sensation de calme. Un moment lyrique aux notes exotiques qui finit tout en douceur, alors que la vision disparaît… Le contraste n’est que plus fort avec le troisième et dernier personnage : « The fool ». Ici, il n’est plus question d’illustrer un quelconque symbolisme mais de donner une traduction de la folie. Glissando sonores sans harmonie, sons en perpétuel mouvement donnent une sensation de déséquilibre et de désordre cacophonique, qui devient de plus en plus forte. Un triptyque étonnant et fascinant porté par un ensemble Chicago pro musica tout en contrôle et en retenue.

Tableaux d’une exposition « de plein air », Frescoes and ash est une série de pièces pour quintette à cordes, clarinette, piano et percussions, inspirée cette fois des fresques de Pompéi. Six fresques se succèdent, chacune ayant son caractère, dans une construction qui rappelle celle de Moussorgski. Aux « Musiciens de rue », danse rythmée et enlevée, succède une « Mosaïque marine », duo pour violoncelle et piano d’un impressionnisme émouvant. Echos du remous des vagues au piano, du vent aux cordes, forment une évocation personnelle et envoûtante qui se rapproche de la musique de film. Les « Scènes d’une comédie » mettent, elles, à l’honneur les percussions (cymbales, fouet), jointes à une clarinette stridente et ironique jouant dans les aigus. La qualité de l’œuvre tient, comme dans la précédente, au-delà des caractéristiques intrinsèques des morceaux, aux variations de tons et d’atmosphères d’une pièce à l’autre. Ainsi, « La Sybille parle » succède aux comédiens, et développe le personnage de la prophétesse : les cordes, nerveuses, décrivent en trémolos la vision d’une apparition, avant de s’envoler dans un lyrisme contemplatif. Réflexion, transmission, réception, apprentissage : des thématiques qui semblent chères à la compositrice, et que l’on retrouve également dans le sérieux et grave « Chiron apprend à Achille à jouer du luth ». Achille, icône mythologique, constitue une liaison logique avec la « Mosaïque d’Alexandre » décrivant une bataille d’Alexandre le Grand au rythme violent des tambours de guerre. Clôturant cette promenade singulière, « Cendre » rappelle le triste destin de cette grande ville ensevelie que fut Pompéi. Une conclusion sous forme de méditation poignante, au lyrisme désespéré, qui nous rappelle l’existence de la mort, avec pessimisme d’abord (plainte des cordes et du piano, gong annonciateur) puis avec une acceptation sereine du piano.

Explorant à nouveau les liens entre modernité et mythologie, Leopold Bloom’s homecoming, mélodie pour ténor et piano de vingt minutes, alternant passages chantés et parlés, est directement tiré du roman Ulysses de James Joyce, et des errances de Ulysse/Leopold Bloom dans Dublin. Si la diction du ténor et son alliance avec le piano portent l’œuvre, celle-ci reste difficile à appréhender sans le texte de l’œuvre ni la connaissance du roman original.

Dernière œuvre de l’album, Binary, pour piano seul, s’intéresse à une autre symbolique, celle des chiffres, plus précisément le 0 et le 1 informatiques. La pièce, écrite sur un rythme binaire, est avant tout conçue comme un exercice autour de ce dernier. Ce caractère mécanique se retrouve en deuxième partie à travers une samba agitée et nerveuse qui conclut l’œuvre.

A travers ces œuvres, Victoria Bond démontre tout son talent et sa maîtrise de la composition chambriste. Simplicité et dénuement d’un petit effectif jouant au complet ou séparément servent un langage original et imagé dont la singularité est mise en valeur par des musiciens investis.

Amaury Quéreillahc


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