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Graciane Finzi : "J'ai la chance d'aimer mon travail."

A elles de s'exprimer ! Nous invitons une femme du milieu de la musique classique, une personnalité qui nous a touchés, captivés, surpris, et qui nous parle de son parcours ou de l'actualité musicale. 

Chez ComposHer, on connaît l'écriture de la compositrice Graciane Finzi depuis bien longtemps : opéra, concertos, musique de chambre, elle a abordé tous les genres. En parallèle de son travail avec les plus grands solistes d'aujourd'hui, elle n'oublie pas la pédagogie auprès des publics éloignés de la musique classique. Récit d'un parcours hors norme.

Comment êtes vous venue à la composition ? 

Je suis arrivée à la composition par les classes d’écriture. Personnellement, j’ai eu la chance d’avoir un professeur d’écriture, Henri Chalan, qui nous donnait à travers son enseignement une grande liberté d’invention, ce qui m’avait déjà ouvert des portes vers la composition. C’était une période où toutes les recherches étaient permises, et il était difficile de se frayer un chemin à travers tous ces méandres compositionnels. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’étais “romantique”, mais peut-être avais-je un langage moins intellectuel que certains. Un de mes camarades au conservatoire écrivait sur du papier millimétré tout en écoutant la radio, il y avait donc une certaine difficulté à rester soi-même au milieu de tout ça. Et c’est grâce à ces cours d’écriture que j’ai pu développer mon écoute intérieure ; nous n’avions pas le droit de toucher au piano !  Une écoute qui est essentielle pour moi, puisque je ne compose pas au piano mais à la table en imaginant toutes les couleurs et les combinaisons que peut nous donner un orchestre. Dix doigts sur un clavier, je trouve cela réducteur... Cette écoute me permet aussi d’arriver aux répétitions sereine : je sais déjà exactement ce que je vais entendre.

Composer est donc pour vous un travail extrêmement intellectuel…

 

Non, je ne dirais pas intellectuel. Mon travail est très sensitif. Cette écoute intérieure me permet d’entendre tous les mélanges de sons liés à ma création.

Ce qui est très long, c’est de construire, par exemple, un énorme accord vertical : il faut agencer les instruments très précisément, réfléchir aux doublures, réfléchir aux tessitures  et aux nuances de chacun pour que tout sonne dans la même dynamique souhaitée. Parfois, en répétition, je m’aperçois qu’il manque un son, ce que même un très bon chef peut ne pas entendre car cela demande une telle connaissance des détails que seul le compositeur est amené à connaître... Et chaque note écrite est importante, a une signification spécifique ou fait partie d’un tout indissociable.

Vos nombreuses compositions pour orchestre attestent effectivement d’une très bonne connaissance des timbres.


L’orchestre est pour moi le plus bel instrument du monde. Avec le piano ! (rires) Je suis entrée très tôt au CNSM en piano, et c’était l’amour de ma vie jusqu’à ce que je réalise en cours d’écriture que j’allais devoir le quitter pour l’orchestre. C’est jouissif d’écrire pour toutes ces sonorités.

Est-ce que le fait d’être pianiste a influencé votre travail de compositrice, votre façon d’écrire ?


Peut-être d’un côté harmonique, oui. Par exemple, il y a un accord qui revient souvent dans ma musique, un accord fétiche, que j’ai d’abord joué au piano. Quand j’écris des oeuvres pour piano, je les travaille bien sûr au clavier.  Parfois, je me dis qu’à l’époque romantique, j’aurais été très heureuse ! Cette année je me suis régalée en écrivant une pièce, Mémoire oubliée, qui ressemble par moments à du blues, pour piano, clarinette et quatuor à cordes. Elle s’intègre à un spectacle autour de la danseuse Isadora Duncan, monté par l’Ensemble Calliopée. Je ne me serais peut-être pas permis ce grand écart de style il y a 20 ans (rires)...

Il y a vingt ans, vous étiez encore professeure au CNSM de Paris, et ce jusqu’en 2013. Que retirez-vous de cette expérience ? 


C’était une belle aventure. Plus que jamais, aujourd’hui, le CNSM est d’un niveau assez hallucinant. Je m’en rends compte car je préside très souvent des concours de licence, ou de master. Là, on assiste à des récitals magnifiques et je me dis : dire que l’on est payé pour écouter tant de belles musiques !
Du point de vue de la classe de composition, je trouve qu’actuellement, le CNSM se place très bien. La jeune génération est d’un niveau impressionnant. J’ai beaucoup écouté les jeunes compositeurs issus du CNSM aux commissions de remise des prix de la SACEM et de la SACD, et je découvre des créateurs extraordinaires. 

 

Et les jeunes compositrices ? Remarquez-vous des disparités entre hommes et femmes dans l’apprentissage de la composition ?

 

Il semblerait qu’il y ait de moins en moins de filles qui  franchissent le pas des classes d’écriture à la classe de composition. Ont-elles peur ? Peur de quoi ? Pourquoi ne choisissent elles pas ce métier ? Peut-être est-ce également lié aux directions d’institutions qui sont encore largement occupées par des hommes.

Alors on dit (les grands psychologues !) que c’est parce que l’on fait jouer les petites filles à la dînette - moi, je jouais avec des petites voitures - donc elles n’osent pas devenir  compositrices, ce qu’elles considèrent comme un métier pour hommes ? Elles deviennent pourtant concertistes, écrivaines...

Je n’ai donc pas de réponse à ce problème, qui tend tout de même à évoluer.


La situation ne s’améliore donc pas ? 


Si, bien sûr, elle s’améliore par le travail de réflexion qui est mené autour de la place des femmes dans le milieu de la musique. Mais ce travail donne parfois des résultats assez ridicules… Par exemple, nous étions l’an dernier, par le jeu des votes qui avaient été guidés par le souhait de la parité, 28 femmes et 10 hommes au conseil d’administration de la SACD ! Mais la situation s’est régulée cette année, et il fallait sans doute en passer par là. J’ai rencontré récemment un auteur de théâtre qui m’a confié avoir voté pour moi sans me connaître, parce qu’il ne connaissait aucun des compositeurs et compositrices, et parce que j’étais une femme ! Espérons que j’ai eu des votes pour d’autres raisons, d’autant plus que c’est la SACD qui m’avait demandé de me présenter.... C’est une étape de transition. Aujourd’hui, ce qui me met surtout hors de moi, ce sont les salaires qui demeurent différents à travail égal, dans certaines sociétés .

Un exemple édifiant : il y a eu un grand colloque de deux jours au CNSM avec des tables rondes, des psychologues, des neurologues, des chercheuses … et pas une compositrice sur l’affiche, alors qu’elles participaient bien sûr à ces journées. Cela a été corrigé ensuite,  à cause du tollé général suscité par l’affiche.

 

Personnellement, avez-vous vécu vos études et votre carrière différemment parce que vous êtes une femme ? 


J’ai fait toutes mes études au conservatoire de Paris, en classes de piano, d’harmonie, de fugue, de contrepoint, de composition… sans qu’on me parle d’une seule femme compositrice ! Clara Schumann, Fanny Mendelssohn, Alma Mahler, Germaine Tailleferre qui faisait  partie du groupe des Six, Nadia et Lili Boulanger… C’est effarant, je n’ai découvert ces compositrices que beaucoup plus tard, par moi-même !

 

Vous considérez-vous comme compositrice ou compositeur ?

 

En réalité, cela m’est égal, j’ai un cerveau qui compose, voilà tout. Et je ne me suis jamais posé la question de l’impact d’être une femme sur ma carrière. J’ai continué mon chemin sans jamais penser que j’avais moins de commandes, étant femme. Je suis passée au travers de cela, et c’est seulement maintenant que j’en prends conscience. 


Votre travail au CNSM atteste d’un attrait pour la transmission. Vous qui avez travaillé avec José van Dam, Jean-Claude Pelletier, Gary Hoffman ou Natalie Dessay, aujourd’hui, vous travaillez également avec des étudiants ou des enfants…


En effet, j’ai souvent fait chanter des classes d’enfants pour des opéras dans des quartiers difficiles. C’est très dur, les enfants sont difficiles au début, mais ils passent une année sur une oeuvre et ils finissent par se prendre au jeu. Les témoignages à la fin sont toujours très émouvants. Certains s’inscrivent même au conservatoire ensuite ! 

J’ai aussi participé au projet Orchestre dans mon Bahut, avec le Paris Mozart Orchestra, dirigé par Claire Gibault. Ce sont des enfants qui n’ont jamais joué d’un instrument, et autant l’acte de chanter est naturel, autant jouer du violon ou du violoncelle ne l’est pas. Ces enfants auxquels on donne un instrument en octobre, cordes, vents ou percussions, vont ensuite jouer avec le Paris Mozart Orchestra en concert à la fin de l’année. Mais il ne s’agit pas de les intégrer pour doubler les “vrais musiciens” en faisant les premiers temps, ou des choses inutiles. Il faut les rendre indispensables, leur donner un vrai rôle dans l’orchestre. Cela nécessite des compositions spécifiques, avec pour les cordes par exemple des glissendi qui montent “jusqu’à la note la plus haute”, des pizzicati sur les 4 cordes, des harmoniques... 

On vient également de donner une pièce qui s’appelle Jeux de cordes avec des enfants qui, là aussi, n’avaient jamais joué d’un instrument, et c’était extraordinaire. 

Ma fille cheffe d’orchestre me dit que c’est à double tranchant : cela donne l’impression que la musique, c’est facile, qu’il n’y a pas besoin d’aller dans les conservatoires, que l’orchestre à l’école suffit … Il faut dire que cet apprentissage collectif ne permet pas vraiment d’acquérir la technique nécessaire à leur instrument. Par exemple, j’ai travaillé avec l’orchestre Démos, où les enfants achevaient leur troisième année de musique. Les enfants savent suivre un chef, compter des mesures, ils sont très réactifs, en revanche, ils n’auraient pas le niveau d’un enfant en troisième année de conservatoire.Et pourtant , le concert à la Philharmonie a été magnifique. L’œuvre s’appelait Music games.

 

Parlez-nous de votre pièce Des champs et des villes, que vous avez écrite pour le PMO et qui a été donnée à Bobino en juin.

La difficulté supplémentaire pour cette oeuvre, c’est que les enfants qui jouent les instruments à cordes sont à Malakoff, et les vents au Mans et dans les campagnes environnantes. C’est donc la rencontre d’enfants d’univers différents, et cette rencontre a été magnifique.

Cette oeuvre est inspirée de peintures d’un peintre de la Sarthe du début du 20ème siècle, Théodore Boulard, qui retracent des scènes très fortes de la ruralité et qui sont opposées à des photographies de Géraldine Millo faites dans des usines, des portraits de jeunes ouvriers. L’investissement des professeurs avec ces enfants est incroyable, ils vont jusqu’à créer des expositions de leurs travaux autour des textes et des peintures étudiés dans le cadre de mon oeuvre. Cela favorise aussi les interactions entre classes. 

On parle trop peu de ces professeurs et de leurs belles actions.

Et ça vous plaît, cette façon d’écrire de la musique avec des mots, des images ?


Si j’accepte, c’est que j’aime ça ! Et c’est même plus facile parce qu’il n’y a pas l’inquiétude de la page blanche. C’est comme avec l’opéra : cela donne une forme, et cela me rassure. J’en ai d’ailleurs composé six ! J’ai aussi composé un opéra pour adolescents sur un texte d’Emmanuel Marie. C’était la belle histoire d’une jeune fille noire adoptée, qui recherchait ses origines. Cela a été créé à Lille, avec l’ONL.

Cet opéra avait été repris dans un quartier difficile de La Rochelle.  On répétait en plein air, les gens passaient, s’arrêtaient, et cela a animé ce quartier pendant 3 semaines. Les passants chantaient avec nous et nous ont témoigné leur reconnaissance. Dans ce quartier, il n’y avait pas de cafés, pas de lieux de rencontre, pas d’espace de jeux. Bien sûr, il est facile de dire que l’on ne fait rien pour ces quartiers-là, mais j’ai tout de même eu l’impression d’y apporter ma petite pierre.

 

Quel rôle peut avoir la musique dans ces quartiers ?

 

Les habitants de ces quartiers, comme les autres, ont besoin de liens humains. L’un de mes derniers projets a été une commande de Radio France, un travail avec une classe de terminale à Saint Denis. Ces élèves travaillaient dans le domaine de la métallurgie et ils m’ont montré leurs machines, ce qu’ils faisaient. Je voulais avoir un vrai contact avec eux, puisque j’allais partager avec eux ma musique ! Ils m’ont expliqué leur futur métier, se sont pris au jeu, et ils étaient ravis… L’oeuvre comprenait des textes issus d’ateliers d’écriture (animés par Jacques Descordes). Ces jeunes qui parlaient parfois très mal le français avaient écrit des choses d’une grande beauté. L’oeuvre a été donnée à Saint-Denis avec les musiciens de l’Orchestre National de France et le choeur de Radio France… Pour eux, cela a été une grande révélation que de se retrouver face à des musiciens si professionnels.

 

Et vos prochains projets ? 

 

Je n’écris que sur commande, et j’ai la chance d’en avoir beaucoup. J’aime mon métier, j’aime écrire de la musique. Les commandes me stimulent, il y a une date… Sinon je serais peut-être moins productive, j’ai de la chance d’avoir un calendrier à suivre ! Cela s’arrêtera peut-être, et alors j’aurai le temps d’écrire ce dont j’ai envie depuis si longtemps. : six études transcendantes pour piano et six caprices pour violon… 

En ce moment, je repars sur une pièce pour orchestre, on m’a demandé une ouverture drôle. Je ne sais pas écrire drôle, elle ne sera pas drôle ! Elle sera vivante peut-être, tonitruante sûrement, mais drôle… Elle s’appellera Ouverture pour une symphonie

Pourtant, j’ai su faire rire avec ma musique, par exemple avec une oeuvre un texte d’Hugo Ball, une sorte de règle de jeu du dadaïsme… Ca, c’était à pleurer de rire ! 

Vous le voyez, j’ai la chance d’aimer mon travail.

Propos recueillis par Noémie Bruère et Clara Leonardi

Transcription et synthèse de Marie Humbert et Clara Leonardi

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