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Aux couleurs de la Grande-Bretagne - Florilège

7 janvier 2023


Dans cet album consacré au genre rare, mais de plus en plus exploré, de la mélodie pour voix et quatuor à cordes, la compositrice britannique contemporaine Sally Beamish côtoie les anglais Frederick Delius et Peter Warlock, et l’américain Samuel Barber. Entre la mélancolie du 20e siècle et les chatoiements lumineux du quatuor à cordes, Beamish propose un cycle de cinq Tree Carols (sur des poèmes de Fiona Sampson) à l’atmosphère grave, où les images pastorales se mêlent aux évocations de mort. Le baryton Roderick Williams (pour qui le cycle est écrit) exprime avec brio tant la colère que l’inquiétude, voire la fragilité, que les différents poèmes suggèrent. Son interprétation est à la fois théâtrale et pleine de finesse, notamment dans le registre aigu où Beamish l’entraîne. Le Quatuor Coull n’est pas en reste : les cordes ponctuent, répondent, provoquent, et peignent une forêt sombre et dangereuse. Dans “The tree is a changing sky”, petit éclat de lumière dans le cycle, la voix comme les cordes s’expriment en grands intervalles interrogatifs ; un instant a cappella, Roderick Williams sculpte chaque mot et chaque note avec émotion, avant d’être rejoint par le quatuor en accords pulsés, non vibrés, dans l’aigu… mise en musique bouleversante de la mort et de l’ascension.


Marie Humbert

 

Dans la tradition toute anglaise des œuvres inspirées de la nature verdoyante et changeante de l’Angleterre, le poème symphonique Sussex Landscape d’Avril Coleridge-Taylor est expressif, imagé, évocateur d’un paysage mélancolique et parfois inquiétant. Le Chineke! Orchestra, constitué en majorité de musicien·ne·s noir·e·s et issu·e·s de minorités ethniques (pour fournir à ces artistes discriminé·e·s des opportunité de travail et une plus grande visibilité), développe des couleurs orchestrales chatoyantes et une interprétation très incarnée de cette pièce à l’atmosphère sans cesse mouvante. Le premier mouvement (« Largo ») présente de superbes thèmes aux cordes aigues, interrompus par des tempêtes cuivrées et sombres. Les soli contemplatifs des bois ouvrent le « Lento e molto tranquillo » sur un tapis harmonique lumineux, puis sont suivis d’une harpe scintillante. Un majestueux troisième mouvement, qui reprend les éléments thématiques du premier, conclut cette œuvre riche en contrastes et en nuances, qui permet à l’orchestre de déployer toute sa palette expressive. L’univers musical ainsi dessiné n’inspire qu’une envie : en entendre plus, et en découvrir davantage sur cette compositrice et cheffe d’orchestre anglaise.

Marie Humbert

 

Fidèle à sa mission de mettre en lumière les artistes gallois et de faire entendre la musique des compositeurs et compositrices du Pays de Galles, le label Tŷ Cerdd propose un album entièrement consacré à la harpe. La harpiste Gwenllian Llŷr y déroule un programme mêlant les siècles et les esthétiques, de la sonate classique de John Parry (1710-1782) à la contemporaine Mared Emlyn. Cette dernière semble conter une histoire avec Melangell : l’univers est joyeux bien que par moment empreint de mélancolie et les notes filent en grands élans lyriques. La Fantasi ar 'Calon Lan' de Llŷr elle-même est plus contemplative, les harmoniques de la harpe contribuant naturellement à cette atmosphère éthérée. ‘Calon lân’ est une chanson traditionnelle Galloise, particulièrement connue et chantée – notamment comme hymne lors des matchs de rugby. La pièce de Llŷr en conserve la mélodie et le style distinct de la musique populaire, dans une écriture quasi improvisée, souvent suspendue. Ann Griffiths (1934-2020) adapte elle aussi un thème populaire (Fantasia on a Welsh Folk Song, 'Beth yw'r Haf i Mi?'), de manière résolument plus sombre. Le texte est la lamentation d’un homme dont la femme l’a quitté, et si l’on perçoit facilement la tristesse dans la mélodie, on perçoit aussi dans la modernité des accords une certaine inquiétude, peut-être reflet du sens de ces textes dans notre société confrontée aux hommes violents par refus de la séparation. L'œuvre partage son atmosphère avec Hiraeth (“Longing”) de Grace Williams, écrite en 1951 pour Griffiths, et semble presque lui répondre. La pièce de Williams est un petit bijou, sa seule pièce pour harpe solo, que Llŷr interprète avec finesse et émotion. Enfin, The Land of Hush-a-bye est une mélodie à l’origine pour voix de Morfydd Owen, arrangée ici par Ethan Davies pour conclure un disque lumineux et poétique.


Marie Humbert

 

Si Ruth Gipps est de plus en plus enregistrée et son répertoire progressivement exploré au disque, sa compatriote anglaise Susan Spain-Dunk (de 40 ans son aînée) ne connaît pas (encore ?) le même engouement. Cet album de Patrick Wastnage (violon) et Elizabeth Dunn (piano) met les deux compositrices à l’honneur à travers des œuvres inédites. La Sonate en ut mineur de Spain-Dunk (1910) est lyrique, déroulant des thèmes chantants et de beaux moments mélancoliques - notamment dans le mouvement lent. Wastnage s’en saisit avec passion et sait trouver une direction et de poétiques moments suspendus, malgré un troisième mouvement qui manque un peu d’allant. La « Romance », seul mouvement survivant de la Sonate en si mineur, ainsi que Les Sylphes, sont empreintes d’un romantisme lancinant dans un cas et d’une espièglerie joueuse dans l’autre. Changement d’atmosphère avec Ruth Gipps, plus moderne, et dont la Sonate op. 42 (1954) permet à la fois au piano et au violon de s’exprimer, avec notamment plusieurs cadences plus expressives que virtuoses. Dans le « Largo », le piano crée l’univers sonore tout en accords lumineux et poétiques, avant de se faire plus bondissant dans le finale pour dialoguer avec un violon également vif et plus virtuose. Tout en variant les tempi et les caractères, Gipps livre une sonate à l’atmosphère bien identifiée, à l’écriture poétique et imagée. La Rhapsody, avec ses rythmes binaires et ternaires superposés, ses notes répétées qui passent du piano au violon, sa mélancolie toute anglaise, est une découverte particulièrement plaisante. Enfin, Evocation charme dès ses premiers accords suspendus, puis se fait dansante, et conclut cet album mêlant lyrisme et mélancolie.


Marie Humbert

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