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Célie Pauthe, entre horreur et beauté : La Chauve-Souris à la MC93 de Bobigny


13 au 23 mars 2019 - Opéra de Paris (MC93, Bobigny)


L’Opéra de Paris, en coproduction avec la Maison de la Culture de Seine‑Saint-Denis propose de redécouvrir La Chauve-Souris de Strauss par les chanteurs et musiciens en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris. A la mise en scène de cette opérette de Strauss : Célie Pauthe, plus habituée du théâtre, notamment avec ses nombreuses collaborations avec le Théâtre de la Colline ou plus récemment en tant que directrice du CDN Besançon Franche-Comté.

Dans un décor léché, composé de trois panneaux dont l’un se fond en une photo de dortoir, une voix off monte du silence. Celle de Célie Pauthe. Qui admet n’avoir pas su comment mettre en scène La Chauve-Souris lorsqu’on le lui a initialement proposé. Elle raconte ses doutes, puis ses recherches sur l’œuvre. Elle découvre alors qu’au-delà du tourbillon de fêtes, de quiproquos et de légèreté viennoise, cette pièce est aussi le symbole de la résistance à l’horreur et l’oppression : elle fut représentée en 1944 dans le camp de Terezín, où quelques‑uns des meilleurs musiciens d’Europe furent emprisonnés par les nazis. Cette incongruité sera le fil rouge de sa mise en scène, ce mélange de frivolité et de sérieux, de joie et de drame, de légèreté et de lourdeur : « Eros chez Thanatos ».

Les musiciens prennent place un par un à gauche de la scène, pour exécuter une partition judicieusement réduite pour 7 instruments par Didier Puntos. Suivent tous les chanteurs de la pièce. Instrumentistes et chanteurs se présentent un par un par leur nom, rôle et ville d’origine, ce qui donne un côté étonnamment « troupe de lycée » à une production déjà fort jeune. Le décor est posé : cette Chauve-Souris sera un mélange entre cette fougue et le drame, symbolisé par la voix off et les images du camp de Terezin qui défilent sur le décor. Et toujours ce contraste : l’ouverture sautillante de Strauss et en fond, le gris du camp. Les trilles et les grilles.


La première et la deuxième partie se déroulent donc ainsi, entre pesanteur et légèreté, au risque de tomber parfois dans la facilité, lorsque des images de Terezin surgissent épisodiquement lors des moments musicaux les plus mélancoliques (sur l’absence, l’oubli etc.) de l’opérette. Au moins Célie Pauthe a-t-elle eu le mérite de s’attaquer à cette œuvre sous cet angle compliqué, et de poser la question de la pertinence de ce genre si particulier comme simple divertissement, de réfléchir autour de l’esprit viennois mais aussi de la puissance de l’art face à l’horreur.


Le tout reste très théâtral, et la troupe de l’Académie de l’Opéra national de Paris semble prendre plaisir à évoluer dans un décor réduit au minimum pour évoquer un appartement (un tapis, un poêle, un sofa…), peut-être en référence aux conditions de vie difficiles à Terezin. Les chanteurs passent à maintes reprises entre les musiciens, partie prenante de la mise en scène. On soulignera un vrai sens du mouvement et de l’espace, ainsi que le jeu relevé et enthousiaste des jeunes chanteurs, qui passent sans difficulté du chant allemand aux parties parlées en français.


Cette tension permanente entre cette jeunesse, le côté parfois kermesse de cette production et son lien profond avec une histoire dramatique est à la fois la force (quand la joie des interprètes se ressent, ou lors des passages humoristiques du livret, fort bien mis en avant par une mise en scène dynamique) et la faiblesse de cette mise en scène. L’ouverture de la troisième partie est en cela symptomatique. Célie Pauthe invite son public à visionner pendant de trop longues minutes des images du film de propagande nazie Theresienstadt, Un documentaire sur la zone de peuplement juif. La salle est alors pétrifiée par un sentiment de malaise palpable et même si cela était surement le but, Pauthe perd en subtilité ce qu’elle pense gagner en profondeur de ton. Le retour à la fête viennoise sera d’autant plus compliqué.

Ainsi, Célie Pauthe choisit le pari audacieux de la difficulté, défi par moments brillamment relevé comme avec cet anachronique mais sublime “Bei mir bist du schein”, célèbre chanson d'amour populaire traditionnelle yiddish, magnifiée par cette mise en scène qui réconcilie horreur et beauté. Si l’on ressort de cette représentation moins léger que prévu, c’est aussi parce que, comme le décrivait l’écrivain tchèque Milan Kundera dans Une rencontre, la représentation de La Chauve-Souris à Terezin fut, pour tous ces artistes déportés « la façon de tenir pleinement déployé l'éventail des sentiments et des réflexions afin que la vie ne fût pas réduite à la seule dimension de l'horreur ». C’est aussi et surtout cela l’opéra.

Loreleï Pellerin

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