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Musiques Pluri'elles : le changement est en marche !


15 novembre 2018

Sorbonne, Paris


Le 15 novembre dernier, l’équipe de ComposHer était à la Sorbonne pour une conférence en musique : le projet Pluri’elles, lancé par les étudiants du master Administration et Gestion de la musique, avait pour but de faire connaître, le temps d’une soirée, des compositrices, des musiciennes ou des cheffes, mais surtout d’évoquer les principaux obstacles auxquels elles devaient faire face dans leur carrière. Deux tables rondes ont permis à des intervenants variés de partager leur expérience sur le sujet, entrecoupées de moments musicaux autour de plusieurs grandes compositrices : Mel Bonis, Germaine Tailleferre, les soeurs Boulanger, Clara Schumann, Alma Mahler, Graciane Finzi et Camille Pépin.


La première table ronde rassemblait la compositrice Graciane Finzi, la cheffe d’orchestre Claire Gibault, la musicologue et sociologue Hyacinthe Ravet, le directeur de la programmation de la Philharmonie de Paris, Emmanuel Hondré, et bien sûr la journaliste et chroniqueuse Aliette de Laleu. Le public a immédiatement été séduit par la démarche volontariste de chacun des intervenants, partant du constat, rappelé par Aliette de Laleu, que si les étudiantes sont largement plus nombreuses que les étudiants en conservatoire (chiffres de la SACD), ce n’est pas le cas en haut de l’échelle. Alors qu’aujourd’hui, il n’existe plus de freins évidents à la pratique (les classes sont ouverts à tous), Hyacinthe Ravet et Claire Gibault ont rappelé que des obstacles psychologiques persistaient, en grande partie liés aux constructions sociales : par exemple, les femmes sont moins présentes que les hommes dans certains pupitres de l’orchestre, comme les cuivres, alors que les hommes harpistes sont plutôt rares. Ces représentations concrètes infusent, encore aujourd’hui, sur les qualités associées aux hommes et aux femmes ; alors que qui se risquerait à arguer que la douceur est une qualité uniquement féminine ?

Pour répondre à ce problème, Claire Gibault suggère de veiller à nommer en quantité égale hommes et femmes dans les orchestres, puisque, très souvent, des candidats des deux sexes ont des niveaux parfaitement similaires. Elle explique également que c’est avant tout à cause de leur réseau que les hommes sont plus facilement nommés : la montée en puissance des femmes dans ce milieu étant récente, elles disposent encore de moins de contacts, de moins de liens, et on les propose tout simplement moins pour occuper certains postes. En tout cas, l’argument qui consiste à dire qu’il n’y a pas assez de femmes à faire connaître est selon Emmanuel Hondré totalement irrecevable : il est possible de créer des programmes parfaitement paritaires.


Pourtant, si cette parité reste l’objectif final, l’atteindre pourra nécessiter des sacrifices : des concerts consacrés uniquement aux compositrices par exemple, afin de leur donner pour la première fois la visibilité qu’elles méritent. Hyacinthe Ravet parle ainsi des programmes exclusivements féminins comme d’un outil destiné à franchir un cap et aller vers la normalité. Emmanuel Hondré privilégie la notion d’urgence et, faisant référence au Tremplin Jeunes Cheffes d’Orchestre organisé par la Philharmonie le 23 novembre, explique que les compétitions exclusivement féminines peuvent aussi être un moyen temporaire de faire entendre et donc découvrir plus de femmes. Ce que Graciane Finzi approuve en rappelant qu’à la direction de la SACD se trouvent aujourd’hui 29 femmes pour… 9 hommes.


Finalement, tous les intervenants s’unissent pour prôner de petites révolutions internes au monde de la musique classique. Car si le changement est si difficile à impulser, c’est avant tout parce que les petites discriminations s’accumulent et font système. La sacralisation du rôle du chef, par exemple, rend ce poste encore plus inaccessible aux femmes ; au contraire, dans tous les pays où de jeunes gens sont mis très tôt en grand nombre face à un orchestre (comme au sein du Sistema vénézuélien), les femmes sont beaucoup plus nombreuses. Le travail avec de nouveaux systèmes, ceux des pays émergents, pourrait ainsi être bénéfique aux femmes.


Lorsque, au cours de la seconde table ronde, on aborde la programmation des compositrices, Hyacinthe Ravet cède sa place à la violoncelliste Olivia Gay, qui a plus tôt dans la soirée interprété des pièces de Mel Bonis, Germaine Tailleferre et Graciane Finzi.


Aliette de Laleu ouvre le débat en proposant comme point de départ ce que l’on rétorque souvent aux passionnés de compositrices, à savoir qu’il n’y aurait pas de Mozart féminin. Emmanuel Hondré réplique sans tarder que, si certaines femmes n’ont effectivement pas eu accès au métier de compositrices, elles sont cependant nombreuses à avoir écrit : il faut simplement un peu d’énergie pour aller les chercher.

Claire Gibault rappelle toutefois que la difficulté à remplir une salle est souvent le critère qui pousse au choix de certaines oeuvres ; ce qui joue bien sûr négativement sur la fréquence à laquelle des compositrices presque inconnues sont données dans les grandes institutions. Emmanuel Hondré ne désespère pourtant pas : si l’on parle de curiosité, si l’on parvient à attirer d’autres publics dans de grandes salles, c’est aussi pour leur montrer, à terme, d’autres musiques, à travers les week-ends thématiques de la Philharmonie par exemple. C’est là le rôle des médias également, qui doivent pouvoir montrer des inspiratrices et susciter des vocations chez les plus jeunes.


C’est là ce qui semble passionner Graciane Finzi : les vocations des jeunes musiciennes et des futures compositrices. Car elle le rappelle, il est bien plus simple d’accéder à la parité si l’on accepte de programmer de la musique contemporaine… À condition que de nombreuses jeunes femmes se lancent dans la composition ! Ce qui reste malheureusement difficile, puisqu’encore aujourd’hui, certains professeurs disent ouvertement refuser l’entrée des classes d’écriture ou de composition aux jeunes filles... Emmanuel Hondré signale en effet que la France fait figure de mauvaise élève dans ce domaine, puisque ces classes y sont particulièrement peu féminisées. Alors, comment pousser toutes ces futures artistes à tenter leur chance à la porte des grands professeurs ?


Peut-être justement par ces mêmes enseignants : Aliette de Laleu rappelle la brusque féminisation de la classe de direction d’orchestre du CNSMDP lorsque celle-ci était tenue par Claire Levachet, Claire Gibault souligne que ses masterclasses sont davantage fréquentées par les jeunes cheffes, victimes d’une forme de condescendance de la part de ses homologues masculins.


Enfin, à tous les musiciens, programmateurs ou dirigeants d’institutions qui protestent contre le prix des rares partitions éditées écrites par des compositrices, Emmanuel Hondré propose de copier à la main les manuscrits disponibles en bibliothèque ou d’éditer soi-même sur des logiciels libres… En somme, ce que nous, chez ComposHer, faisons.


La soirée se conclut en musique après une dernière discussion, cette fois sur le thème de la maternité chez les musiciennes. Si celle-ci s’est péniblement invitée dans les actualités musicales cette année, avec le licenciement injustifié de la chanteuse enceinte Julie Fuchs, elle peut aussi se passer sans encombre, comme en témoigne Olivia Gay, qui a continué à jouer jusqu’au trois derniers mois de sa grossesse. La maternité ne doit pas nécessairement avoir des conséquences sur la vie musicale : si le père joue un rôle complémentaire à celui de la mère, Olivia Gay estime que la grossesse n’a pas à être un handicap… Car ce n’est pas une maladie, alors que certains hommes, comme le rappelle Claire Gibault, ont dirigé des orchestres malades ou handicapés !

Certes, les métiers de la scène rendent parfois plus compliquée la vie de famille. Mais cela est vrai pour les hommes comme pour les femmes, car les secondes n’ont pas à s’en sentir plus responsables! Olivia Gay souligne le pouvoir des on-dits culpabilisants, des commentaires et des mises en garde entendus très tôt, qui peuvent briser des vocations. La vérité, rappelle Claire Gibault, est qu’il est très facile pour l’employeur d’aider à trouver des solutions, en remboursant les frais de garde d’enfants, ou en remplaçant momentanément les musiciennes indisponibles. C’est pourquoi la compatibilité de la vie de famille avec la vie de musicienne est bien une question de bonne volonté, de toutes les parties prenantes.


Les tables rondes, entrecoupées de musique de compositrices, ont donc su instiller un optimisme volontaire au sein du public. Des intervenants de grande qualité, excellents orateurs et grands musiciens ou musicologues, des musiciennes (et un musicien!) brillantes et des compositrices talentueuses auront su montrer une fois de plus que les femmes sont aujourd’hui plus que jamais les grandes actrices de la musique classique, et que la parité est possible à toutes les échelles.


Et la musique dans tout ça ? Les moments musicaux mettaient en lumière la mezzo-soprano Fiona McGown, les pianistes Célia Oneto Bensaid et Laure Favre-Kahn, la violoncelliste Olivia Gay et le violoniste Florian Maviel. Le choix des oeuvres, particulièrement judicieux, permettait de constater l’extrême diversité du répertoire des compositrices, bien loin de la prétendue unité d’un genre “féminin”. La verve de la Suite orientale de Mel Bonis faisait contrepoids à la langueur subtile et dramatique de Laue Sommernacht, de Alma Mahler. L’énergie espiègle d’Olivia Gay convenait à merveille à Nadia Boulanger. Les coups de coeur de la soirée : le Trio avec piano de Germaine Tailleferre, l’une des oeuvres favorites de l’équipe de ComposHer, et surtout le Kaddish de Graciane Finzi, magnifiquement servi par la voix profonde et intense de Fiona McGown.

Noémie Bruère et Clara Leonardi




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