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Le chant du cygne vitaminé de Martha Argerich

Dernière mise à jour : 19 août 2021

21 octobre 2018 – Philharmonie de Paris

Luzerner Symphonieorchester, dir. James Gaffigan Martha Argerich


Malgré le déficit de reconnaissance dont souffrent les femmes dans la musique classique – notre cheval de bataille à ComposHer – il en est tout de même certaines que l'on ne présente plus. Et s'il ne fallait en citer qu'une, ce serait assurément la grande Martha Argerich, véritable légende vivante du piano. La virtuose argentine, gagnante mémorable du concours Chopin de 1965, renonça dès le début des années 80 à l'exercice du récital solo, privilégiant plutôt la musique de chambre ou le concerto, et multipliant les collaborations artistiques. On a ainsi diverses occasions de l'écouter cette saison à Paris, et on ne saurait d'ailleurs que trop recommander de visionner la captation du concert fou donné il y a quelques semaines avec l'orchestre de jeunes brésiliens Neojiba.

Cette soirée sur le thème du Chant du cygne, s'inscrivait dans un Weekend spirit à la Philharmonie, dont la programmation rendait hommage à la musique d’Arvo Pärt, 83 ans, présent pour l'occasion. Ce sont donc deux œuvres du compositeur minimaliste estonien qui ouvraient le programme défendu par le Luzerner Symphonieorchester, dirigées sans baguette par le chef américain James Gaffigan – soulignant ainsi la dimension vocale de cette musique d'un style appelé tintinnabuli.   La première pièce, La Sindone – en référence au suaire de Turin, importante relique chrétienne – suit une structure peu conventionnelle : s'ouvrant sur un climax dramatique rapidement dissipé dans les graves de l'orchestre, elle se poursuit en une longue page d'errance faisant naître de vastes paysages sonores parsemés de percussions isolées qui résonnent sur toute la hauteur du spectre. La pièce se referme en un ample crescendo aboutissant à un puissant unisson de mi, véritable point d'attraction. La deuxième pièce, Swansong, est d'un caractère plus expressif mais toujours aussi méditatif, avec des motifs énoncés aux vents, notamment au cor anglais, accompagnés des mouvements aquatiques des cordes et de la harpe. La première partie se poursuit avec la Symphonie n°8 « Inachevée » de Schubert. James Gaffigan, qui pour l'occasion a récupéré sa baguette, en donne ici une belle version. On note la grande qualité de l'orchestre (signalons au passage que les deux premiers violons sont des femmes), notamment dans des passages piano extrêmement bien réalisés, et l'entente évidente et assez réjouissante entre un chef au charisme solaire et d'une grande précision, et son ensemble. Après l'entracte s'ouvre la deuxième partie du programme, consacrée à Liszt, et qui fait souffler un véritable vent d'héroïsme dans la salle. Il faut encore patienter le temps du poème symphonique Mazeppa avant que n'entre en scène celle que tout le monde attend et qui sera le clou du spectacle. L’œuvre propose cependant une diversion diablement efficace. En partant du matériau de l'étude d'exécution transcendante du même nom, elle met en musique un poème de Victor Hugo, dont les mots content la légende d'un cosaque ukrainien puni pour avoir séduit une femme mariée. Attaché entièrement nu et le corps couvert de goudron sur le dos d'un cheval sauvage, il est entraîné en une course folle à travers les steppes, au son des triolets effrénés des cordes. Un thème épique surgit aux trombones, bientôt transformé en une version plus douce confiée aux bois – soulignant le caractère mystérieux et inquiétant de la légende – avant de revenir encore plus fracassant, jusqu'à la chute du cheval, figurée aux timbales. S'ensuit une période d'errance, bientôt rattrapée par une marche triomphante, lorsque les paysans cosaques recueillent le supplicié et finissent par en faire leur chef. La tension et l'émotion sont palpables lorsque entre enfin en scène la pianiste à la longue chevelure argentée, ovationnée avant même d'avoir pu atteindre le piano (on n'ose pas imaginer la pression qu'une telle attente doit représenter). Martha Argerich brille dans ce Concerto pour piano n°1 qui lui va si bien. On reste bouche bée devant l'aisance, la légèreté, la précision, la fulgurance des traits. L’œuvre, en quatre mouvements enchaînés d'un seul souffle, passe à une vitesse folle – il faut dire qu'elle est plutôt courte, à peine plus d'un quart d'heure. Dans le premier mouvement, on admire le rebond incroyable des traits d'octaves qui répondent au thème puissant de l'orchestre. Le deuxième mouvement, Quasi adagio, permet de mettre en valeur le romantisme exacerbé de la pianiste, jamais prévisible, et la souplesse de ses trilles. Le troisième mouvement, qui a pour particularité d'utiliser le triangle comme instrument soliste, présente des pages considérées parmi les plus difficiles du répertoire pianistique. Mais tout semble facile avec une telle interprète ! Enfin, le dernier mouvement, qui combine tous les thèmes entendus précédemment, achève l’œuvre en un presto exaltant. De bout en bout, l'écoute mutuelle entre soliste et orchestre est admirable. On est frappé par la force tranquille qui émane de la pianiste,  conservant toujours une allure très calme mais jouant avec toute la fougue qu'on lui connaît. Semblant presque embarrassée par les applaudissements et ovations qui s'ensuivent naturellement, Martha se remet très vite au piano comme pour y couper court, et offre finalement au public deux bis rivalisant de délicatesse, la Fantasiestücke op. 12 n°7 puis la Scène d’enfant, op. 15 n°1 de Schumann.

Florence Bansept

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