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Visages de la modernité - Florilège #14

Dernière mise à jour : 19 août 2021



Aux premières notes de Moods, pièce pour trio à cordes de Julie Mandel, on croirait presque que l’on vient de découvrir une nouvelle compositrice du 19ème siècle. L’impression est vite oubliée : la compositrice américaine joue sur des modes d’écriture familiers à nos oreilles, mais s’écarte assez vite des carcans formels. Le résultat est une pièce tantôt joyeuse tantôt mélancolique, dans laquelle on se laisse emporter sans efforts. Rain Worthington surprend davantage : au violoncelle dans Then Again, Mira Frisch est précise et rend à merveille le monologue de l’instrument, entre interrogations et mélodies contemplatives. Anna Cromwell et Lisa Nelson dialoguent habilement dans Relays et A Dance of Two de la même Rain Worthington, deux pièces assez semblables où l’on peut se plonger dans la poésie des deux violons se rapprochant, s’unissant sur certains tremolo, explorant accords et intervalles avec subtilité. Elegy (pour violon et violoncelle) est l’occasion de découvrir l’écriture très expressive d’Adrienne Albert, à la fois mélancolique et intense, presque populaire voire jazzy. Enfin, Dancing on Glass (Victoria Bond, pour trio à cordes) brise l’atmosphère suspendue de cette première partie de disque. Les dix mouvements sont variés, rythmés, et les trois instruments sont comme trois danseurs sur la piste, se croisant et se répondant, avec virtuosité ou ironie, jusqu’à se réunir dans un mouvement qui ne permet plus de les distinguer. Alto, violon ou violoncelle : chacun a ses moments de gloire.


Marie Humbert

 

Parmi la vingtaine de mélodies anglaises que nous proposent James Gilchrist (ténor) et Nathan Williamson (piano), quatre sont de la compositrice britannique Rebecca Clarke : June Twilight (1925), The Seam man (1922), A Dream (1926) et Eight o’clock (1927). Pour un disque prétendant présenter cent ans de mélodies anglaises, les œuvres présentées sont, pour plus de la moitié, de la période des années 1920-1930. Si l’ouvrage présenté n’est pas très varié temporellement, il l’est en revanche par la diversité des mélodies. Celles de Rebecca Clarke sont mises au même plan que les airs de Gustav Holst, Ivor Gurney et Frank Bridge. The Seal man, par ses accords ondulants, rappelle aisément le milieu maritime où nagerait un triton. June Twilight et son ambiance crépusculaire laissent planer la voix comme une douce et moelleuse couverture tout en laissant sonner les angoisses que peuvent aussi apporter la nuit. A Dream lui succède naturellement, avec ses notes cristallines parsemant la partition : la voix à moitié nue prend alors tout ce que le rêve apporte de réconfort. Eight o’clock reste dans cette atmosphère de clair-obscur, mais est beaucoup plus angoissante. De façon globale, Rebecca Clarke est une parenthèse un peu plus sombre qui nous est offerte. Il est juste à regretter qu’à de menus endroits, la voix défaille parfois, car dans son entièreté, l’album est agréable à écouter.


Gabriel Navaridas

 

Les Trois pièces pour violoncelle et piano de Nadia Boulanger trônent au milieu d'un album montrant l'immense étendue de l'empire musical de la grande compositrice en rassemblant des œuvres de ses élèves Astor Piazzolla, Elliot Carter, Phillip Glass, Michel Legrand, et même Quincy Jones, et de son ami et protégé Igor Stravinsky sur lequel elle a eu une grande influence. Le cheminement de l'album permet un dialogue entre les différents langages musicaux de ces héritiers de la "grande mademoiselle", et un des joyaux de son répertoire, malheureusement très succinct. Astrig Siranossian et Daniel Baremboim (élève de la classe de composition de Nadia Boulanger en 1955) livrent une interprétation à la fois maîtrisée et poétique des trois pièces, jouant avec respect et précision, et une utilisation très parcimonieuse du vibrato au violoncelle. Le jeu très clair introduit subtilement les évolutions harmoniques et rythmiques de l'œuvre, et préservant la continuité et la tension du morceau. La perfection technique n'entrave pas la liberté nécessaire à l'ajout de quelques coquetteries ponctuelles, qui donnent tout son sel à cette interprétation. Le mystère du "Modéré" joué avec la sourdine au violoncelle, ce à quoi Baremboim s'adapte remarquablement bien par l'usage d'un toucher féérique, la mélancolie du "Sans vitesse et à l'aise" et son quasi canon déroutant et finalement l'allégresse enjouée et vagabonde du "Vite et nerveusement rythmé" apparaissent pleinement grâce à la finesse et l'équilibre de cette interprétation. Un très grand hommage à la compositrice de génie, et surtout un véritable plaisir d'écoute et de redécouverte de ces pièces pour violoncelle et piano, visionnaires et envoûtantes.


Félix Wolfram

 

Placer l’œuvre d’une compositrice contemporaine entre deux chefs d’œuvres du répertoire pour quatuor à cordes ? C’est le pari que prend le Calidore String Quartet avec son nouvel album Babel qui nous fait découvrir les Essays de Caroline Shaw entourés du Troisième quatuor de Schumann et du Neuvième quatuor de Chostakovitch. Le programme conçu pour cet album s’articule autour d’œuvres questionnant les frontières entre langage et musique, et à travers ses trois pièces, Caroline Shaw nous parle. Elle murmure et s’exclame ; elle gémit et hurle. Les cordes crépitent comme des dizaines de bouches cherchant à se faire entendre. Les trois mouvements qui composent ce quatuor respirent la fraîcheur et la joie de vivre. C’est une piqûre d’adrénaline que nous injecte Shaw dans les veines. Avec son esthétique, la compositrice transgresse les frontières de la musique savante et donne un coup de pied dans la barrière des genres. On passe du classique à l'électro ; on survole la plénitude des monts neigeux pour retomber dans l’ambiance bestiale d’une piste de danse. Que ce soit les effets de saturation au violoncelle dans le second mouvement, tel un chant de baleine qui nous plonge dans une ambiance aquatique ou encore les nombreux effets de montées où la compositrice semble se trouver derrière des platines prête à faire se déhancher des milliers de personnes, Caroline Shaw se réapproprie d’une manière très originale les modes de jeux contemporains et les transcende. Voilà une œuvre colorée, éclatante et pleine d’espoir quant à l’avenir de la musique savante. Le Caligore String Quartet a amplement réussi son pari et défend cette œuvre avec brio. On saluera pour finir la qualité de l’enregistrement qui n’est pas étranger à la réussite de ce magnifique album.



Martin Barré


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