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Camille Pépin : Chamber Music

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Février 2019

Camille Pépin

Lyrae

Chamber Music

Indra

Luna

Kono-hana


Ensemble Polygones Léo Margue, Raphaëlle Moreau, Anaëlle Touret, Léa Hennino, Thibault Lepri, Fiona McGown, Célia Oneto-Bensaïd


Chez ComposHer, on attendait depuis longtemps la sortie du premier disque de Camille Pépin. Eblouïes par le très beau Vajrayana lors du Tremplin Jeunes Cheffes d’Orchestre en novembre dernier, conquises par son enthousiasme lors de notre interview en septembre, il ne nous manquait qu’une occasion comme celle-ci pour étudier plus en profondeur sa musique de chambre.

C’est un disque d’une cohérence extrême que nous proposent l’ensemble Polygones, dirigé par Léo Margue, et ses partenaires. De Lyrae, pour quatuor à cordes, harpes et percussions, à Kono-hana, pour violoncelle seul, les mêmes motifs mélodiques sont présents, détournés ou transposés. Un univers poétique et chatoyant se dessine à travers les différentes pièces, entre fortes influences minimalistes et évocations mystiques qui ne sont pas sans rappeler Vajrayana. Le tout, mené par des instrumentistes impeccables, extraordinairement à l’écoute : un sans faute !

Lyrae, œuvre inspirée par une double étoile de la constellation de la Lyre, déploie une atmosphère mystérieuse au sein de laquelle se mêlent effets des cordes (ricochets, jeu sul ponticello), et exploration du timbre de la harpe et des percussions. Les jeux de questions-réponses, qui évoquent les forces que les deux parties de l’étoile exercent l’une sur l’autre, démontrent une excellente communication entre les instrumentistes. Une réelle unité naît des nombreuses pédales et cellules rythmiques répétées, qui permettent à une pulsation irrégulière mais capitale de se maintenir tout au long de l’œuvre. Si cette insistance sur le rythme évoque la musique pop, c’est surtout l’influence de Philip Glass et de son Concerto pour violon qui frappe, lorsqu’une mélodie émerge doucement, chantée par les cordes.

Mais le cœur du disque est bien le monumental cycle Chamber Music, pour mezzo-soprano, clarinette, cor, piano, violon et violoncelle, nommé ainsi en hommage à un cycle de poèmes de Joyce ici mis en musique, qui illustrent différents épisodes d’une histoire d’amour. Là encore, l’unité globale est frappante : ainsi, le texte et le dialogue sont omniprésents dans l’écriture de Camille Pépin, la chanteuse devant par moments même s’aventurer dans le registre parlé ; et ce dialogue intègre progressivement les instruments autour d’elle, qui répètent et se passent les mêmes motifs mélodiques, jusqu’à faire sonner la voix comme un simple instrument parmi d’autres. Le timbre chaud et riche de Fiona McGown fait des merveilles, avec un vibrato ample et expressif sans jamais être opulent, et surtout une diction nette et précise – on entend la poésie ! Les cordes, cantonnées dans de nombreux mouvements à des motifs rythmiques irréguliers, démontrent une stabilité de la pulsation à toute épreuve et sont pour beaucoup dans l’aspect très léché de l’enregistrement. Mais notre coup de cœur revient aux vents : le sublime cor d’Alexandre Collard, d’une douceur et d’une pureté sans défaut, et la clarinette interrogative, toujours impeccablement juste même dans les pianissimo du « Be not sad… ». Les motifs mélodiques et rythmiques reviennent sans cesse dans l’écriture de Camille Pépin, et ces répétitions, jointes aux nombreuses pédales, finissent par emmener l’auditeur dans une sorte de transe. Les atmosphères, tantôt recueillies, tantôt interrogatives, suffisent à l’emporter dans des univers toujours nouveaux, marqués par une palette de couleurs constamment renouvelée. La structure en arche de l’œuvre lui confère une grande unité, et si les mouvements les plus violents (« Gentle lady ») ne sont pas les plus réussis, les derniers poèmes, qui évoquent par la richesse des harmonies et la poésie des nuances l’école française du début du XXème siècle (incroyable dialogue cor-voix dans « Now, o now »), sont une sublime conclusion.

L’ouverture rageuse et dramatique, tout en rythmes irréguliers, d’Indra, tranche avec cette conclusion apaisée. Les doubles cordes au violon, les notes répétées au piano, omniprésentes, difficultés qui exigent une technique solide, sont surmontées sans peine par Raphaëlle Moreau et Célia Oneto Bensaïd. L’espièglerie du col legno contraste avec des passages plus tragiques ou le motif mélodique de Chamber Music surnage au-dessus d’un piano essentiellement rythmique. Entre clins d’œil amusant à la cellule « DSCH » caractéristique du Quatuor n°8 de Chostakovitch et passages plus belliqueux qui rappellent que l’œuvre doit son nom à une divinité guerrière, Camille Pépin truffe la partition d’harmoniques, ou encore de pizzicati de la main gauche, ce qui n’arrête jamais le violon intrépide de Raphaëlle Moreau. Une œuvre à la fois passionnée et orageuse, incisive et dansante.

C’est finalement Luna qui constitue l’œuvre la plus moderne de ce disque, par ses harmonies plus audacieuses et ses sonorités insolites. Le premier mouvement, « Luna », est marqué par des errances dans le grave, superposées à une multitude d’effets dans les aigus, très imagés, comme ces harmoniques des cordes qui évoquent des coups de vent. « Aurora » s’ouvre dans un climat étale d’où émergent peu à peu d’effrayantes gammes descendantes de violon et clarinette. Des trémolos inquiétants au violoncelle, des arpèges virtuoses à la clarinette et de longs solos chantés de cor complètent cette atmosphère d’un mystère extrême. Enfin, « Sol », plus virulent, plus puissant aussi, exige des instrumentistes ce sens du rythme déjà sollicité par Chamber music, avec une abondance de notes répétées et de ponctuations précises et rythmiques. La clarinette, en particulier, impressionne par son aisance malgré des traits extrêmement difficiles. La conclusion rythmique, puis le glissendo final parachèvent avec un brio très jazzy ce passionnant triptyque.

Enfin, Kono-hana, pour violoncelle seul, projette en pleine lumière le violoncelle de Natacha Colmez-Collard. Son très beau son, particulièrement profond dans le grave, est encore amplifié par une prise de son flatteuse, qui fait des merveilles dans les passages en harmoniques. A des incantations dans l’aigu, remarquablement phrasées par l’interprète, répondent de sombres doubles cordes dans le grave. L’aspect technique n’est pas en reste : de nombreux traits, extrêmement virtuoses, côtoient des passages en pizzicati au rythme complexe, à contretemps, qui évoquent le jazz. Quelques interruptions semblent découper l’œuvre en mouvements, aux caractères variés. Seuls les passages répétitifs, qui frôlent le minimalisme, sont parfois un peu longs, et font regretter l’absence d’accompagnement. On retiendra donc plutôt de Kono-hana sa sublime conclusion : entre pizzicati arpégés et thème en harmoniques, s’esquisse un beau dialogue méditatif entre aigus et graves, qui prouve une dernière fois la richesse de la palette sonore du violoncelle.


Clara Leonardi


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